Odes funambulesques

par

Théodore de BANVILLE

Paris : M. Levy, 1859.

  1. LA CORDE ROIDE : 61 vers
  2. LA VILLE ENCHANTÉE : 108 vers
  3. LA BELLE VÉRONIQUE : 53 vers
  4. VARIATIONS LYRIQUES : 201 vers
  5. PREMIER SOLEIL : 45 vers
  6. LA VOYAGEUSE : 127 vers
  7. éVOHé, NéMéSIS INTéRIMAIRE : 1087 vers
  8. LES FOLIES NOUVELLES : 582 vers
  9. OCCIDENTALES : 970 vers
  10. RONDEAUX : 100 vers
  11. TRIOLETS : 186 vers
  12. à 1 AMI POUR PRIX TRAV. LITTéR. : 49 vers
  13. VILLANELLE DE BULOZ : 26 vers
  14. ÉCRIT SUR 1 EXEMPLAIRE ODELETTES : 25 vers
  15. VILLANELLE DES PAUVRES HOUSSEURS : 38 vers
  16. CHANSON SUR L'AIR DES LANDRIRY : 121 vers
  17. BALLADE CéLéBRITéS TEMPS JADIS : 29 vers
  18. VIRELAI à MES éDITEURS : 57 vers
  19. BALLADE DES TRAVERS DE CE TEMPS : 38 vers
  20. MONSIEUR COQUARDEAU, CHANT ROYAL : 64 vers
  21. MONSELET D'AUTOMNE, PANTOUM : 41 vers
  22. RÉALISME : 78 vers
  23. MÉDITATION POÉTIQUE LITTÉRAIRE : 28 vers
  24. MA BIOGRAPHIE À HENRI D'IDEVILLE : 49 vers
  25. À AUGUSTINE BROHAN : 37 vers
  26. LA SAINTE BOHÈME : 71 vers
  27. BALLADE DE LA VRAIE SAGESSE : 37 vers
  28. LE SAUT DU TREMPLIN : 62 vers
  1. LA CORDE ROIDE

    Du temps que j'en étais épris,

    les lauriers valaient bien leur prix.

    à coup sûr on n'est pas un rustre

    le jour où l'on voit imprimés

    les poëmes qu'on a rimés :

    heureux qui peut se dire illustre !

    Moi-même un instant je le fus.

    J'ai comme un souvenir confus

    d'avoir embrassé la *Chimère.

    J'ai mangé du sucre candi

    dans les feuilletons du lundi :

    ma bouche en est encor amère.

    Quittons nos lyres, *érato !

    On n'entend plus que le râteau

    de la roulette et de la banque ;

    viens devant ce peuple qui bout

    jouer du violon debout

    sur l'échelle du saltimbanque !

    Car, si jamais ses yeux vermeils

    ne sont las de voir les soleils

    sans baisser leurs fauves paupières,

    le poëte n'est pas toujours

    en train de réjouir les ours

    et de civiliser les pierres.

    En vain les accords de sa voix

    ont charmé les monstres ; parfois

    loin des flots sacrés il émigre,

    las, sinon guéri de prêcher

    l'amour aux côtes du rocher

    et la douceur aux dents du tigre.

    Il se demande s'il n'est plus,

    sous les vieux arbres chevelus

    de cette *France que nous sommes,

    de l'*Océan au pont de *Kehl,

    un déguisement sous lequel

    on puisse parler à des hommes ;

    et, voulant protester du moins

    devant les immortels témoins

    en faveur des dieux qu'on renie,

    quoique son âme soit ailleurs,

    il te prend tes masques railleurs

    et ton rire, ô sainte ironie !

    Alors, sur son triste haillon

    il coud des morceaux de paillon,

    pour que dans ce siècle profane,

    fût-ce en manière de jouet,

    on lui permette encor le fouet

    de son aïeul *Aristophane.

    Et d'une lieue on l'aperçoit

    en souliers rouges ! Mais qu'il soit

    un héros sublime ou grotesque ;

    ô muse ! Qu'il chasse aux vautours,

    ou qu'il daigne faire des tours

    sur la corde funambulesque,

    tribun, prophète ou baladin,

    toujours fuyant avec dédain

    ces pavés que le passant foule,

    il marche sur les fiers sommets

    ou sur la corde ignoble, mais

    au-dessus des fronts de la foule.

  2. LA VILLE ENCHANTÉE

    il est de par le monde une cité bizarre,

    où *Plutus en gants blancs, drapé dans son manteau,

    offre une cigarette à son ami *Lazare,

    et l'emmène souper dans un parc de *Wateau.

    Les centaures fougueux y portent des badines ;

    et les dragons, au lieu de garder leur trésor,

    s'en vont sur le minuit, avec des baladines,

    faire un maigre dîner dans une maison d'or.

    C'est là que parle et chante avec des voix si douces,

    un essaim de beautés plus nombreuses cent fois,

    en habit de satin, brunes, blondes et rousses,

    que le nombre infini des feuilles dans les bois !

    ô pourpres et blancheurs ! Neiges et rosiers ! L'une

    en découvrant son sein plus blanc que la *Jung-*Frau,

    cause avec *Cyrano, qui revient de la lune,

    l'autre prend une glace avec *Cagliostro.

    C'est le pays de fange et de nacre de perle ;

    un tréteau sur les fûts du cabaret prochain,

    spectacle où les décors sont peints par *Diéterle,

    *Cambon, *Thierry, *Séchan, *Philastre et *Despléchin ;

    un théâtre en plein vent, où, le long de la rue,

    passe, tantôt de face et tantôt de profil,

    un mimodrame avec des changements à vue,

    comme ceux de *Gringoire et du céleste *Will.

    Là, depuis *Idalie, où *Cypris court sur l'onde

    dans un brougham de nacre attelé d'un dauphin,

    vous voyez défiler tous les pays du monde

    avec un air connu, comme chez *Séraphin.

    La belle au bois dormant, sur la moire fleurie

    de la molle ottomane où rêve le chat *Murr,

    parmi l'air rose et bleu des feux de la féerie

    s'éveille après cent ans sous un baiser d'amour.

    La chinoise rêveuse assise dans sa jonque,

    les yeux peints, et les bras ceints de perles d'*Ophir,

    d'un ongle de rubis rose comme une conque

    agace sur son front un oiseau de saphir.

    Sous le ciel étoilé, trempant leurs pieds dans l'onde

    que parfument la brise et le gazon fleuri,

    et d'un bois de senteur couvrant leur gorge blonde,

    dansent à s'enivrer les bibiaderi.

    Là, belles des blancheurs de la pâle chlorose,

    et confiant au soir les rougeurs des aveux,

    les vierges de *Lesbos vont sous le laurier-rose

    s'accroupir dans le sable et causer deux à deux.

    La reine *Cléopâtre, en sa peine secrète,

    fière de la morsure attachée à son flanc,

    laisse tomber sa perle au fond du vin de *Crète,

    et sa pourpre et sa lèvre ont des lueurs de sang.

    Voici les beaux palais où sont les hétaïres,

    sveltes lys de *Corinthe et roses de *Milet,

    qui, dans des bains de marbre, au chant divin des lyres,

    lavent leurs corps sans tache avec un flot de lait.

    Au fond de ces séjours à pompe triomphale,

    où l'or met des rayons dans les yeux éblouis,

    *Hercule enrubanné file aux genoux d'*Omphale.

    Et *Diogène dort sur le sein de *Laïs.

    Salut, jardin antique, ô *Tempé familière

    où le grand *Arouet a chanté *Pompadour,

    où passaient avant eux *Louis et *La *Vallière,

    la lèvre humide encor de cent baisers d'amour !

    C'est là que soupiraient aux pieds de la dryade,

    dans la nuit bleue, à l'heure où sonne l'angelus,

    et le jeune *Lauzun, fier comme *Alcibiade,

    et le vieux *Richelieu, beau comme *Antinoüs.

    Mais, ce qui me séduit, et ce qui me ramène

    dans la verdure, où j'aime à soupirer le soir,

    ce n'est pas seulement *Phyllis et *Dorimène,

    avec sa robe d'or que porte un page noir.

    C'est là que vit encore le peuple des statues

    sous ses palais taillés dans les mélèzes verts,

    et que le choeur charmant des nymphes demi-nues

    pleure et gémit avec la brise des hivers.

    Les naïades sans yeux regardent les grands arbres

    pousser de longs rameaux qui blessent leurs beaux

    seins,

    et, sur ces seins meurtris croisant leurs bras de

    marbres,

    augmentent d'un ruisseau les larmes des bassins.

    Aujourd'hui les wagons, dans ces steppes fleuries

    devancent l'hirondelle en prenant leur essor,

    et coupent dans leur vol ces suaves prairies,

    sur un ruban de fer qui borde un chemin d'or.

    Ailleurs, c'est le palais d'*Italie et de *Grèce

    où règnent des bergers et des dieux demi-nus,

    pour lequel *Titien a donné sa maîtresse,

    où *Phidias a mis les siennes, ses *Vénus !

    Et maintenant, voici la coupole féerique

    où, près des flots d'argent, sous les lauriers en

    fleurs,

    le grand *Orphée apporte à la *Grèce lyrique

    la lyre que *Sappho baignera dans les pleurs.

    ô ville où le flambeau de l'univers s'allume !

    Aurore dont l'oeil bleu, rempli d'illusions,

    tourné vers l'orient, voit passer dans sa brume

    des foyers de splendeur étoilés de rayons !

    Ce théâtre en plein vent bâti dans les étoiles,

    où passent à la fois *Cléopâtre et *Lola,

    où défile en dansant, devant les mêmes toiles,

    un peuple chimérique en habit de gala ;

    ce pays de soleil, d'or et de terre glaise,

    cette étrange cité, c'est *Athène ou *Paris,

    *Eldorado du monde, où la fashion anglaise

    importe deux fois l'an ses tweeds et ses paris.

    Pour moi, c'est dans un coin du salon d'*Aspasie,

    sur l'album électrique où, parmi nos refrains,

    *Phidias et *Diaz ont mis leur fantaisie,

    que je rime cette ode en vers alexandrins.

  3. LA BELLE VÉRONIQUE

    ce fut un beau souper, ruisselant de surprises.

    Les rôtis, cuits à point, n'arrivèrent pas froids ;

    par ce beau soir d'hiver, on avait des cerises

    et du johannisberg, ainsi que chez les rois.

    Tous ces amis joyeux, ivres, fiers de leurs vices,

    se renvoyaient les mots comme un clair tambourin ;

    les dames, cependant, suçaient des écrevisses

    et se lavaient les doigts avec le vin du *Rhin.

    Après avoir posé son verre encore humide,

    un tout jeune homme, épris de songes fabuleux,

    beau comme *Antinoüs, mais quelque peu timide,

    suppliait dans un coin sa voisine aux yeux bleus.

    Ce fut un grand régal pour la troupe savante

    que cette bergerie, et les meilleurs plaisants

    se délectaient de voir un fou croire vivante

    *Véronique aux yeux bleus, ce joujou de quinze ans.

    Mais l'heureux couple avait, parmi ce monde étrange,

    l'impassibilité des olympiens ; lui,

    savourant la démence et versant la louange,

    elle, avalant sa perle avec un noble ennui.

    L'ardente causerie agitait ses crécelles

    sur leurs têtes ; pourtant, quoi qu'il en pût coûter,

    ils avaient les regards si chargés d'étincelles

    que chacun à la fin se tut pour écouter.

    -" vraiment ? Jusqu'à mourir ! " s'écriait *Véronique,

    en laissant flamboyer dans la lumière d'or

    ses dents couleur de perle et sa lèvre ironique ;

    " et si je vous disais : je veux le *Kohinnor ? "

    (elle jetait au vent sa tête fulgurante,

    pareille à la toison d'une angélique miss

    dont l'aile des steam-boats à la mer de *Sorrente

    emporte avec fierté les cargaisons de lys ! )

    -" chère âme, " répondit le rêveur sacrilège,

    " j'irais la nuit, tremblant d'horreur sous un manteau,

    blême et pieds-nus, voler ce talisman, dussé-je

    ensuite dans le coeur m'enfoncer un couteau. "

    cette fois, par exemple, on éclata. Le rire,

    sonore et convulsif, orageux et profond,

    joyeux jusqu'à l'extase et gai jusqu'au délire,

    comme un flot de cristal montait jusqu'au plafond.

    C'est un hôte ébloui, qui toujours nous invite.

    La fille d'*ève eut seule un éclair de pitié ;

    elle baisa les yeux de l'enfant, et bien vite

    lui dit, en se penchant dans ses bras à moitié :

    -" ami, n'emporte plus ton coeur dans une orgie.

    Ne bois que du vin rouge, et surtout lis *Balzac.

    Il fut supérieur en physiologie

    pour avoir bien connu le fond de notre sac.

    Ici, comme partout, l'expérience est chère ;

    crois-moi, je ne vaux pas la bague de laiton

    si brillante jadis à mon doigt de vachère,

    dans le bon temps des gars qui m'appelaient *Gothon ! "

  4. VARIATIONS LYRIQUES

    le carnaval s'amuse !

    Viens le chanter, ma muse,

    sur un rhythme gaillard

    du bon *Ronsard !

    Et d'abord, sur ta nuque,

    en dépit de l'eunuque,

    fais flotter tes cheveux

    libres de noeuds !

    Chante ton dithyrambe

    en laissant voir ta jambe

    et ton sein arrosé

    d'un feu rosé.

    Laisse même, ô déesse,

    avec ta blonde tresse,

    le maillot des *Keller

    voler en l'air !

    Puisque je congédie

    les vers de tragédie,

    laisse le décorum

    du blanc peplum,

    la tunique et les voiles

    semés d'un ciel d'étoiles,

    et les manteaux épars

    à saint-*Ybars !

    Que ses vierges plaintives,

    catholiques ou juives,

    tiennent des sanhédrins

    d'alexandrins !

    Mais toi, sans autre insigne

    que la feuille de vigne

    et les souples accords

    de ton beau corps,

    laisse ton sein de neige

    chanter tout le solfège

    de ses accords pourprés,

    mieux que *Duprez !

    Ou bien, mon adorée,

    prends la veste dorée

    et le soulier verni

    de *Gavarni !

    Mets ta ceinture, et plaque

    sur le velours d'un claque

    les rubans querelleurs

    jonchés de fleurs !

    Fais, sur plus de richesses

    que n'en ont les duchesses,

    coller jusqu'au talon

    le pantalon !

    Dans tes lèvres écloses

    mets les cris et les poses

    et les folles ardeurs

    des débardeurs !

    Puis, sans peur ni réserve,

    réchauffant de ta verve

    le mollet engourdi

    de *Brididi,

    sur tes pas fiers et souples

    traînant cent mille couples,

    montre leur jusqu'où va

    la rédowa,

    et, dans le bal féerique,

    hurle un rhythme lyrique

    dont tu feras cadeau

    à *Pilodo !

    Tapez, pierrots et masques,

    sur vos tambours de basques !

    Faites de vos grelots

    chanter les flots !

    Formidables orgies,

    suivez sous les bougies

    les sax aux voix de fer

    jusqu'en enfer !

    Sous le gaz de *Labeaume

    hurrah ! Suivez le heaume

    et la cuirasse d'or

    de *Mogador !

    Et madame panache,

    dont le front se harnache

    de douze ou quinze bouts

    de marabouts !

    Au son de la musette

    suivez ange et frisette,

    et ce joli poupon,

    rose pompon !

    Et *Blanche aux belles formes,

    dont les cheveux énormes

    ont été peints, je crois,

    par *Delacroix !

    De même que la *Loire

    se promène avec gloire

    dans son grand corridor

    d'argent et d'or,

    sa chevelure rousse

    coule, orgueilleuse et douce ;

    elle épouvanterait

    une forêt.

    Chantez, musique et danse !

    Que le doux vin de *France

    tombe dans le cristal

    oriental !

    Pas de pudeur bégueule !

    Amis ! La *France seule

    est l'aimable et divin

    pays du vin !

    Laissons à l'*Angleterre

    ses brouillards et sa bière !

    Laissons-la dans le gin

    boire le spleen !

    Que la pâle *Ophélie,

    en sa mélancolie,

    cueille dans les roseaux

    les fleurs des eaux !

    Que, sensitive humaine,

    *Desdémone promène

    sous le saule pleureur

    sa triste erreur !

    Qu'*Hamlet, terrible et sombre

    sous les plaintes de l'ombre,

    dise, accablé de maux :

    " des mots ! Des mots ! "

    mais nous, dans la patrie

    de la galanterie,

    gardons les folles moeurs

    des gais rimeurs !

    Fronts couronnés de lierre,

    gardons l'or de *Molière,

    sans prendre le billon

    de *Crébillon !

    C'est dans notre campagne

    que le pâle champagne

    sur les coteaux d'*Aï

    mousse ébloui !

    C'est sur nos tapis d'herbe

    que le soleil superbe

    pourpre, frais et brûlants,

    nos vins sanglants !

    C'est chez nous que l'on aime

    les verres de *Bohême

    qu'emplit d'or et de feu

    le sang d'un dieu !

    Donc, ô lèvres vermeilles,

    buvez à pleines treilles

    sur ces coteaux penchants

    pères des chants !

    Poésie et musique,

    chantez l'amour physique

    et les coeurs embrasés

    par les baisers !

    Chantons ces jeunes femmes

    dont le coeur et les âmes

    atirent vers *Paris

    tous les esprits !

    Chantons leur air bravache

    et leur corset sans tache

    dont le souple basin

    moule un beau sein ;

    leur col qui se chiffonne

    sur leur robe de nonne,

    leurs doigts collés aux gants

    extravagants ;

    leur chapeau dont la grâce

    pour toujours embarrasse

    la ville et le faubourg

    de *Pétersbourg ;

    leurs peignoirs de barège

    et leurs jupes de neige

    plus blanches que les lys

    d'*Amarillys ;

    leurs épaules glacées,

    leurs bottines lacées

    et leurs jupons tremblants

    sur leurs bas blancs !

    Chantons leur courtoisie !

    Car ni l'*Andalousie,

    ni *Venise, les yeux

    dans ses flots bleus,

    ni la belle *Florence

    où, dans sa transparence,

    l'*Arno prend les reflets

    de cent palais,

    ni l'odorante *Asie,

    qui, dans sa fantaisie,

    tient d'un doigt effilé

    le narghilé,

    ni l'*Allemagne blonde

    qui, sur le bord de l'onde,

    ceint des vignes du *Rhin

    son front serein,

    n'ont dans leurs rêveries

    vu ces lèvres fleuries,

    ces croupes de coursier,

    ces bras d'acier,

    ces dents de bête fauve,

    ces bras faits pour l'alcôve,

    ces grands ongles couleur

    de rose en fleur,

    et ces amours de race

    qu'*Anacréon, *Horace

    et *Marot enchantés,

    eussent chantés !

  5. PREMIER SOLEIL

    *Italie, *Italie, ô terre où toutes choses

    frissonnent de soleil, hormis tes méchants vins !

    Paradis où l'on trouve avec les lauriers-roses

    des sorbets à la neige et des ballets divins !

    Terre où le doux langage est rempli de diphthongues !

    Voici qu'on pense à toi, car voici venir mai,

    et nous ne verrons plus les redingotes longues

    où tout parfait dandy se tenait enfermé.

    Sourire du printemps, je t'offre en holocauste

    les manchons, les albums et le pesant castor.

    Hurrah ! Gais postillons, que les chaises de poste

    volent, en agitant une poussière d'or !

    Les lilas vont fleurir, et *Ninon me querelle,

    et ce matin j'ai vu *Mademoiselle *Ozy

    près des panoramas déployer son ombrelle :

    c'est que le triste hiver est bien mort, songez-y !

    Voici dans le gazon les corolles ouvertes,

    le parfum de la sève embaumera les soirs,

    et devant les cafés, des rangs de tables vertes

    ont par enchantement poussé sur les trottoirs.

    Adieu donc, nuits en flamme où le bal s'extasie !

    Adieu concerts, scotishs, glaces à l'ananas,

    fleurissez maintenant, fleurs de la fantaisie,

    sur la toile imprimée et sur le jaconas !

    Et vous, pour qui naîtra la saison des pervenches,

    rendez à ces zéphyrs que voilà revenus,

    les légers mantelets avec les robes blanches,

    et dans un mois d'ici vous sortirez bras nus !

    Bientôt, sous les forêts qu'argentera la lune,

    s'envolera gaîment la nouvelle chanson ;

    nous y verrons courir la rousse avec la brune,

    et *Musette et *Nichette avec *Mimi *Pinson !

    Bientôt tu t'enfuiras, ange mélancolie,

    et dans le bas-meudon les bosquets seront verts.

    Débouchez de ce vin que j'aime à la folie,

    et donnez-moi *Ronsard, je veux lire des vers.

    Par ces premiers beaux jours la campagne est en fête

    ainsi qu'une épousée, et *Paris est charmant.

    Chantez, petits oiseaux du ciel, et toi, poëte,

    parle ! Nous t'écoutons avec ravissement.

    C'est le temps où l'on mène une jeune maîtresse

    cueillir la violette avec ses petits doigts,

    et toute créature a le coeur plein d'ivresse

    excepté les pervers et les marchands de bois !

  6. LA VOYAGEUSE

    I

    au temps des pastels de *Latour,

    quand l'enfant-dieu régnait au monde

    par la grâce de *Pompadour,

    au temps des beautés sans seconde ;

    au temps féerique où, sans mouchoir,

    sur les lys que *Lancret dessine

    le collier de taffetas noir

    lutte avec la mouche assassine ;

    au temps où la nymphe du vin

    sourit sous la peau de panthère,

    au temps où *Wateau le divin

    frète sa barque pour *Cythère ;

    en ce temps fait pour les jupons,

    les plumes, les rubans, les ganses,

    les falbalas et les pompons ;

    en ce beau temps des élégances,

    enfant blanche comme le lait,

    beauté mignarde, fleur exquise,

    vous avez tout ce qu'il fallait

    pour être danseuse ou marquise.

    Ces bras purs et ce petit corps,

    noyés dans un frou-frou d'étoffes,

    eussent damné par leurs accords

    les abbés et les philosophes.

    Vous eussiez aimé ces bichons

    noirs et feu, de race irlandaise,

    que l'on porte dans les manchons

    et que l'on peigne et que l'on baise.

    La neige au sein, le rose aux doigts,

    *Boucher vous eût peinte en *Diane

    montrant sa cuisse au fond du bois

    et pliant comme une liane,

    et *Clodion eût fait de vous

    une provoquante faunesse

    laissant mûrir au soleil roux

    les fruits pourprés de sa jeunesse !

    Car sur les lèvres vous avez

    la malicieuse ambroisie

    de tous ces paradis rêvés

    au siècle de la fantaisie,

    et, nonchalante *Dalila,

    vous plaisez par la morbidesse

    d'une nymphe de ce temps-là,

    moitié nonne et moitié déesse.

    Vos cheveux aux bandeaux ondés

    récitent de leur onde noire

    des madrigaux dévergondés

    à votre visage d'ivoire,

    et, ravis de ce front si beau,

    comme de vertes demoiselles,

    tous les enfants porte-flambeau

    vous suivent en battant des ailes.

    Tous ces petits culs-nus d'amours,

    groupés sur vos pas, *Caroline,

    ont soin d'embellir vos atours

    et d'enfler votre crinoline ;

    et l'essaim des jeux et des ris,

    doux vol qui folâtre et se joue,

    niche sous la poudre de riz

    dans les roses de votre joue.

    Vos sourcils touffus, noirs, épais,

    ont des courbes délicieuses

    qui nous font songer à la paix

    sous les forêts silencieuses,

    et les écharpes de vos cils

    semblent avoir volé leurs franges

    à la terre des alguazils,

    des manolas et des oranges.

    II

    au fait, vous avez donc été

    loin de nos boulevards moroses,

    pendant tout ce dernier été,

    sous les buissons de lauriers-roses ?

    Le fier soleil du *Portugal

    vous tendait sa lèvre obstinée

    et faisait son meilleur régal

    avec votre peau satinée.

    Mais vous, tordant sur l'éventail

    vos petits doigts aux blancheurs mates,

    vous découpiez *Scribe en détail

    pour les rois et les diplomates ;

    et, digne d'un art sans rivaux,

    pour charmer les chancelleries,

    vous avez traduit *Marivaux

    en mignonnes espiègleries.

    C'est au mieux ! L'astre des cieux clairs

    qui fait grandir le sycomore

    vous a donné de jolis airs

    de bohémienne et de more.

    Vous avez pris, toujours riant,

    dans cet éternel jeu de barres,

    la volupté de l'*Orient

    et le goût des bijoux barbares,

    et vous rapportez à *Paris,

    ville de toutes les décences,

    les molles grâces des houris

    ivres de parfums et d'essences.

    C'est bien encor ! Même à *Turin

    menez *Clairville, puisqu'on daigne

    nous demander un tambourin

    là-bas, chez le roi de *Sardaigne.

    Mais pourtant ne nous laissez pas

    nous consumer dans les attentes !

    Arrêtez une fois vos pas

    chez nous, et plantez-y vos tentes.

    Tout franc, pourquoi mettre aux abois

    cet *éden, où le lion dîne

    chaque jour de la biche au bois

    et soupe de la musardine ?

    Valets de coeur et de carreau

    et boyards aux fourrures d'ourses,

    loin de vous, sachez-le, *Caro,

    tout s'ennuie, au bal comme aux courses.

    Vous nous disputez les rayons

    avec des haines enfantines,

    et jamais plus nous ne voyons

    que les talons de vos bottines.

    Songez-y ! Vous cherchez pourquoi

    ma muse, qui n'est pas méchante,

    m'ordonne de me tenir coi

    et ne veut plus que je vous chante ?

    C'est que vos regards inhumains

    ont partout des intelligences,

    et tout le long des grands chemins

    vont arrêter les diligences.

  7. éVOHé, NéMéSIS INTéRIMAIRE

    puisque la

    cette vieille portière,

    court en poste et regarde à travers la portière

    des arbres fabuleux faits comme ceux de *Cham,

    laissons *Chandernagor, *Pékin, *Bagdad ou *Siam

    posséder ses appas, vieux comme sainte *Thècle,

    et désabonnons-nous le plus possible au

    ne pleure pas, public qui lis encor des vers.

    Je ne te dirai pas : les raisins sont trop verts ;

    et, quant à s'en passer, je sais ce qu'on y risque ;

    j'ai fait pour toi l'achat d'une jeune odalisque.

    Celle qui part était infirme à force d'ans :

    elle boitait ; la mienne a ses trente-deux dents,

    l'oeil vif, le jarret souple : elle est blanche,

    elle est nue,

    charmante, bonne fille, et de plus inconnue.

    Elle a le col de cygne et les trente beautés

    que la *Grèce exigeait de ses divinités,

    et ce ne sont partout, sous sa robe qui pouffe,

    que cheveux d'or, que lys et que roses en touffe.

    La voilà présentée, et, mon bras sous le sien,

    nous allons tous les deux, pareils au groupe ancien

    d'une jeune bacchante agaçant un satyre,

    du mieux que nous pourrons jouer à la satire.

    Nous savons, aussi bien que feu *Barthélemy,

    sur la lyre à dix voix trouver l'

    et le

    allons ! Parmi les chants, les cris et la tempête,

    ô ma folle, ô ma muse, embouche ta trompette

    qui fouette les carreaux comme un clairon de *Sax ;

    sur ton front chevelu mets le casque d'*Ajax,

    galope et fais claquer sur les peaux les plus chères

    ton fouet et son pommeau ciselé par *Feuchères !

    Lesbienne rêveuse, éprise de *Phyllis,

    tu n'as pas, il est vrai, célébré *S......,

    ni fait de *Giraudeau ton souteneur en titre ;

    ni dans des vers gazés, qui font rougir un pitre,

    fait éclore, en prenant la flûte et le tambour,

    un édit paternel pour les filles d'amour ;

    ni, comme l'*Amphion de ces pignons godiches,

    fait surgir à ta voix les colonnes-affiches.

    Mais enfin, c'est par toi qu'un jour le triolet

    ressuscita des morts et resta ce qu'il est,

    et pour mieux mettre à vif nos modernes linière,

    devint une épigramme aiguisée en lanière ;

    on a su par toi seule, en ce *Paris élu,

    ce que valent *Néraut, *Tassin et *Gredelu ;

    sur ton rondeau tel barde, imprimé vif chez *Claye,

    s'est vu traîner vivant comme sur une claie,

    et par toi ce bel âge apprit, en même temps,

    qu'un nouvel *Archiloque est âgé de huit ans.

    Vois, le siècle est superbe et s'offre au satirique :

    géronte dans le sac attend les coups de trique,

    et sera trop heureux, muse aux regards sereins,

    si tu lui fais l'honneur de lui casser les reins.

    Regarde autour de toi ces mille nids d'insectes

    qui fourmillent en paix dans des fanges suspectes,

    et que tu vas fouler aux pieds de ton coursier !

    *Messaline, ta soeur, l'amante aux bras d'acier,

    de qui trois cents romains composaient l'ordinaire,

    ne serait aujourd'hui qu'une pensionnaire,

    et pourrait concourir pour le prix de vertu.

    Les nôtres ont un *Claude imbécille et tortu,

    qui, toujours généreux au degré nécessaire,

    pour les faire oublier donne tant par ulcère.

    Quelle est la *Cléopâtre à trois cents francs par mois,

    dont l'*Antoine en gants blancs, venu de l'*Angoumois,

    n'ait pas tous les huit jours quelques perles à

    fondre ?

    Lorsque *Antoine est mangé, *Cléopâtre vers *Londre

    vole comme un oiseau, sur l'aile du steamer,

    et, de *Waterloo-*Road affrontant la rumeur,

    puise à ces fonds secrets que, pour ses amourettes,

    la perfide *Albion avance à nos lorettes.

    Demande au soleil d'or, qui mûrit les cotons,

    combien notre opéra, refuge de gothons,

    en dévore en un soir pour un ballet féerique,

    et demande à *Sappho, la *Lélia lyrique,

    dont la lèvre du vent rougit les froids appas,

    si, par quelque hasard, elle ne saurait pas

    quels timides aveux et quelles confidences,

    au mépris de l'archet enragé pour les danses,

    nos petites *Laïs, dans les coins hasardeux,

    au bal *Valentino chuchotent deux à deux ?

    *Alcippe a le renom d'un homme littéraire.

    Il gagne peu d'argent. Est-il pauvre ? Au contraire.

    Sa femme, une poupée aux petits airs souffrants,

    en cailloux de princesse a deux cent mille francs,

    et, dès le grand matin, porte pour ses sorties

    des bottines de soie en couleurs assorties

    à la robe du jour. *Alcippe a deux landaus

    et de petits habits qui plissent sur le dos ;

    madame a son lundi ; c'est un groom en livrée

    qui porte à la revue, à bon droit enivrée,

    les tartines d'*Alcippe, et ces époux profonds

    ont leur loge au gymnase et leur loge aux bouffons.

    *Alcippe, homme de goût, poëte et dramatiste,

    est un original extrêmement artiste ;

    il croit sincèrement devoir à son travail

    les dollars que madame a trouvés en détail

    sous les petits coussins d'une amie un peu mûre,

    dont pour aucun de nous le boudoir ne se mure.

    Si pourtant le mari, que favorise un dieu,

    veut s'étonner, madame, en souriant un peu,

    répond qu'elle a gagné cet argent à la bourse.

    En peut-on à ce point méconnaître la source !

    L'ange des actions, que chacun invoquait,

    manque à présent de tout, ainsi que bilboquet ;

    et la bourse où madame a gagné, c'est la nôtre :

    c'est la maigreur des uns qui fait un ventre à l'autre.

    *Damon... mais à quoi bon fatiguer votre voix !

    Muse, n'essayons pas de peindre en une fois

    les immoralités de ce siècle bizarre.

    Nous en avons de reste au quartier saint-*Lazare,

    pour remplir largement trois mille feuilletons.

    Tant de taureaux de *Crète et de serpents pythons

    se dressent à l'envi dans ce grand marécage,

    que nous demanderons du temps pour mettre en cage

    ces monstres de féerie, et pour bien copier

    leurs langues de drap rouge et leurs yeux de papier.

    Voyez les auvergnats, les pairs, les gens de lettres,

    les tom-pouces âgés de quatre centimètres,

    le lézard-violon, le hanneton-verrier,

    le café de maïs, l'annonce *Duveyrier,

    le journal vertueux, *Aymé, dentiste équestre,

    et là-bas mirliton qui s'érige en orchestre !

    Hilbey ! Carolina ! Toussenel ! Le guano !

    Et mangin ! Et clairville ! Et maître chicoisneau !

    Et la bourse ! Et *Madrid ! Et l'odéon ! Et rolle !

    Et le nez de guttière ! Et buloz ! Et l'école

    du bon-sens ! Et le bal des chiens ! Et le

    janin même, aidé de juvénal,

    y perdrait son latin. Voyez, mademoiselle,

    ce qui vous reste à faire, et déployez du zèle.

    Quand, rouge de plaisir et les yeux étoilés,

    ton cheval et ton casque au vent échevelés,

    on te verra courir, ô muse jeune et folle !

    Les critiques eux-même, et les plus vieux, et rolle,

    te suivront d'un regard lascif, ô mes amours !

    Oubliant qu'ils sont vieux et le furent toujours !

    bonsoir, chère *évohé. Comment vous portez-vous ?

    Vous arrivez bien tard ! Comme vos yeux sont doux

    ce soir ! Deux lacs du ciel ! Et la robe est divine.

    Quel écrin ! Vous aimez *Diaz, on le devine.

    Vos poignets amincis sortent comme des fleurs

    de cette mousseline aux replis querelleurs ;

    ce col simple est charmant, ce chapeau de peluche

    blanche, ce tour de tête avec son humble ruche,

    vous donnent, ma déesse, un air tout virginal,

    et chez vous gavarni complète juvénal.

    Votre joue amoureuse a le duvet des pêches,

    et si jamais l'enfant *éros manque de flèches,

    il vous demandera les cils de cet oeil noir.

    Quel dommage qu'il soit déjà samedi soir,

    et qu'il faille chanter, ô ma muse folâtre !

    Car je vous aurais dit : " le feu brille dans l'âtre,

    la verte salamandre y sautille en rêvant ;

    laissons tomber la pluie et soupirer le vent,

    car les sophas sont doux loin des regards moroses,

    et nos verres de vin sont pleins de rayons roses. "

    mais karr seul peut flâner aux grèves d'étretat.

    Un dieu ne nous fit pas ces loisirs : notre état,

    c'est de fouetter au sang, comme croquemitaine,

    tous les petits vauriens, sans prendre de mitaine.

    Nous leur faisons bien peur ! Heureusement je vois

    que mon croquemitaine, avec sa grosse voix,

    avale à belles dents les bonbons aux pistaches,

    porte des bas à jour et n'a pas de moustaches.

    La moustache irait mal avec sa douce peau.

    Mais nous perdons du temps ! Jetez là ce chapeau,

    la robe, les jupons ; tirez cette baleine,

    ce bas de cachemire avec sa blanche laine,

    et ces boucles d'oreille et ce petit collier,

    il faut, ma chère enfant, vous mettre en cavalier.

    Nous allons dans un lieu sauvage où, sur mon âme,

    l'on est fort exposée en costume de femme.

    Passez ce pantalon et ces bottines, qui

    viennent de chez *Renard et de chez *Sakoski ;

    cachez votre beau sein dans un gilet bien juste.

    Ce frac va déguiser tous les trésors du buste.

    Bien. Maintenant, prenez, comme les plus ardents,

    le twine sur le bras et le cigare aux dents ;

    faites mordre à propos par l'épingle inhumaine

    vos cheveux d'or. C'est tout. Venez, et dieu nous

    mène !

    Le tartare des grecs, où le cruel typhon

    les cent gueules en feu paraît encor bouffon ;

    *Tobolsk, la rue aux ours, qui plaît aux réalistes,

    l'enfer, où pleureront les matérialistes,

    la thrace aux vents glacés, le mont *Hymalaïa,

    l'hôtel des haricots, *Saint-*Cloud, *Batavia,

    *Mourzouk, où l'on rôtit l'homme comme une dinde,

    les mines de *Norwège et les grands puits de l'*Inde,

    asiles du serpent et du caméléon,

    l'*Etna, *Botany-*Bay, l'*Islande et l'odéon

    sont des endroits charmants et du pays du tendre,

    à côté de l'endroit où nous allons nous rendre.

    Nulle part, fût-ce même au fond de la cité,

    l'impudeur, la débauche et la lubricité,

    la luxure au front blanc creusé de cicatrices,

    et le libertinage avec ses mille vices,

    ne dansèrent en choeur ballets plus triomphants !

    C'est ce que l'on appelle un

    figure-toi, lecteur, une boîte malsaine ;

    des lauriers de papier couronnent l'avant-scène,

    et vous voyez se tordre avec un air moqueur

    des camaïeus bleu-tendre à soulever le coeur.

    Quatre violons faux grincent avec la flûte,

    la clarinette beugle, et dans leur triste lutte,

    le cornet à piston survient tout essoufflé,

    comme un cheval boiteux pris dans un champ de blé,

    et qui, les yeux hagards, s'enfuit avec démence.

    Mais le rideau se lève et la pièce commence.

    Des petits malheureux affublés d'oripeaux,

    infirmes, rabougris, et suant dans leurs peaux,

    récitent une prose à crier : " à la garde ! "

    et brament des couplets d'une voix nasillarde.

    Le scrofule a détruit les ailes de leur nez ;

    leur joue est molle, et tombe en plis désordonnés,

    les yeux tout chassieux prennent des tons d'absinthe,

    et l'épine dorsale a l'air d'un labyrinthe.

    Ils sautent au hasard comme de petits faons.

    Vous homme simple et bon, rien qu'à voir ces enfants

    estropiés sans doute et battus par leurs maîtres,

    vous les plaignez déjà, ces pauvres petits êtres !

    Mais un monsieur bien mis, un abonné du lieu,

    qui hante la coulisse et fait le *Richelieu,

    vous apprend que ces nains, dont la race fourmille,

    ont cinquante ans et sont des pères de famille.

    Ils grisonnent ; ils sont comme vous, chers lecteurs,

    gardes nationaux, poëtes, électeurs,

    et portent des faux cols ; c'est le vice précoce

    qui les a desséchés comme un pois dans sa cosse ;

    leur femme, déjà vieille, élève un rossignol,

    et l'un d'eux est orné de quelque ordre espagnol.

    à ces mots, voyant clair dans ce honteux arcane,

    honnête citadin, vous prenez votre canne,

    et le sage parti, trois fois sage en effet,

    de fuir en maudissant le maire et le préfet,

    à moins que, comme nous, aimant l'allégorie,

    vous ne restiez pour voir la fantasmagorie.

    C'est un spectacle heureux et d'un effet hardi.

    Il ne vous montre pas la lune en plein midi,

    mais il donne le droit d'éteindre les chandelles.

    L'amour est libre alors, et vole à tire d'ailes,

    et l'on peut souhaiter un endroit écarté

    où de n'être pas chaise on ait la liberté.

    Serrez-vous contre moi, chère *évohé, ma muse !

    Voici l'heure où bientôt l'habit qui les abuse

    va devenir utile, abominablement.

    Trois fois heureux encor si ce déguisement,

    à dessein médité pour ce moment critique,

    peut éloigner de vous ce public électrique !

    Donc, à ces cris que pousse en mourant la vertu,

    honteuse de mourir sans avoir combattu,

    au bruit de ces soupirs qu'un faible écho répète,

    sauvons-nous au hasard sans tambour ni trompette !

    Allons chez nous, ma mie, ô ma muse à l'oeil bleu !

    Et, la main dans la main, lisons au coin du feu,

    cependant qu'au dehors le vent siffle et détone,

    et

    car, tandis que là-bas, l'enfance, sous le fouet,

    à de honteux vieillards sert de honteux jouet,

    il est doux de revoir, dans les odes écloses,

    les beaux petits enfants sourire avec les roses,

    et la mère au beau front pour ce charmant essaim

    répandre sans compter les perles de son sein ;

    et d'écouter en soi chanter avec les heures

    l'harmonieux concert des voix intérieures !

    chère *évohé, voici le carnaval qui vient,

    et l'on danse à la fin du mois, s'il m'en souvient.

    Je voulais vous montrer une chose divine,

    un domino charmant que *Gavarni dessine,

    une surprise, enfin ! Pourquoi venir le soir ?

    Nous n'avons même pas le temps de nous asseoir,

    quand j'aurais, pour rester sur ces divans sublimes,

    encore plus de raisons que vous n'avez de rimes !

    Il faut partir. Prenez votre châle, *évohé.

    Si je ne vous savais un coeur très-dévoué,

    et de l'esprit à flots, si vous étiez bégueule,

    je vous engagerais à rester toute seule ;

    car je crois qu'il s'agit d'aller encore un coup

    attaquer un défaut que vous avez beaucoup.

    Vous voyez trop souvent votre amie au king's *Charle

    et je vous vois rougir chaque fois que j'en parle !

    Tortille tes cheveux avec des tresses d'or,

    ô ma muse, et volons sur l'aile d'un condor

    jusqu'au pays féerique où les blanches sultanes

    baignent leurs corps polis à l'ombre des platanes,

    et s'enivrent le coeur aux chansons du harem

    sous les rosiers de *Perse et de *Jérusalem,

    tandis qu'en souriant, les esclaves tartares

    arrachent des soupirs à l'âme des guitares.

    Il était à *Stamboul un théâtre enchanteur,

    dont le sultan lui-même était le directeur :

    la musique et ses voix, l'altière poésie,

    les danses de l'*Espagne et de la molle *Asie

    enchantaient, à souhait pour l'extase des sens,

    ce palais ébloui de feux resplendissants.

    Or, le sultan, naguère, en ses jours d'allégresse,

    avait dormi longtemps chez les filles de *Grèce,

    et, versant des parfums sous le ciel embaumé,

    ainsi que *Madeleine avait beaucoup aimé.

    Mais quand l'âge de glace eut fondu cette lave,

    il fut, à son hiver, l'esclave d'une esclave

    qui lui chantait le soir de doux airs espagnols,

    d'une voix douce à faire envie aux rossignols.

    Elle avait les langueurs des filles de la *Gaule,

    soit qu'elle soupirât la romance du saule,

    ou quelque chant d'amour plaintif et singulier,

    sous l'habit provoquant d'un jeune cavalier.

    Mais sa pourpre, fatale aux amours des captives,

    buvait le sang vermeil des blanches et des juives,

    et ses regards emplis de force et de douceur,

    demandaient chaque mois la tête d'un danseur.

    Lorsque la favorite, avec ses airs de reine,

    apparaissait, portant la couronne sereine

    dont les lys enflammés ruisselaient en marchant,

    tout le peuple ébloui du ballet et du chant

    tremblait devant son doigt noyé dans la dentelle.

    Un seul avait trouvé sa grâce devant elle,

    ardent comme un lion ou comme le simoun,

    un habile chanteur qu'on appelait *Medjnoun.

    Or, ce jeune homme avait la perle des maîtresses,

    une blanche houri qui, par ses longues tresses,

    jetait aux quatre vents tous les parfums d'*Ophir,

    paupière aux sourcils noirs, prunelles de saphir,

    gazelle pour la grâce indolente des poses,

    nourmahal, dont la lèvre enamourait les roses.

    *Medjnoun se demandait quel ange au firmament

    avait fondu pour lui des coeurs de diamant,

    lorsque, par une nuit claire d'astres sans nombre,

    errant par les sentiers du jardin comme une ombre,

    près d'un kiosque doré, que les pâles jasmins

    et les lys aux yeux d'or entouraient de leurs mains,

    et sur lequel aussi dormaient dans la nuit brune

    les blancs rosiers baignés des blancs rayons de lune,

    par la fenêtre ouverte il entendit deux voix.

    L'une disait (c'était la favorite) : " oh ! Vois,

    ma *Nourmahal ! Jamais le coeur des jeunes hommes

    ne s'attendrit ; mais nous, ma chère âme, nous sommes

    douces ; nos longs cheveux sur nos seins endormis

    ont l'air en se mêlant de deux fleuves amis ;

    les rayons de la nuit argentent nos pensées,

    lorsque dans un hamac mollement balancées,

    entrelaçant nos bras, nous chantons deux à deux,

    ou que, nous confiant à des flots hasardeux,

    et laissant l'eau d'azur baiser nos gorges blondes,

    nous en dérobons l'or sous la moire des ondes. "

    la favorite alors, les yeux noyés de pleurs,

    voyait à chaque mot éclore mille fleurs

    sur le sein de l'enfant rougissante et sans voiles,

    et le regard perdu dans ses yeux pleins d'étoiles

    comme les océans du ciel oriental,

    était agenouillée aux pieds de *Nourmahal,

    et *Nourmahal honteuse, au bout de chaque phrase,

    ramenait sur son cou sa tunique de gaze.

    -" permettez, dit *Medjnoun, entrant à la talma,

    " qu'ici je vous salue, et que j'emmène ma

    " maîtresse ; il se fait tard et notre chambre est

    prête.

    *Medjnoun fut le jour même admis à la retraite.

    ô frères de don *Juan ! Dompteurs des flots amers,

    qui déchirez la perle au sein meurtri des mers,

    vous dont l'ardente lèvre eût bu jusqu'à la lie

    les mystères sacrés de gnide et d'idalie,

    avec vos doigts sanglants fouillez l'oeuvre de *Dieu,

    et vous ne trouverez jamais, sous le ciel bleu,

    si chaste lèvre, encor pleine de fleurs mi-closes,

    dont la pâle amitié n'ait effeuillé les roses !

    Toi qui, depuis longtemps avec ton pied vainqueur,

    as foulé pas à pas les replis de mon coeur,

    blonde *évohé ! Tu sais si j'aime le théâtre.

    Polichinelle seul peut me rendre idolâtre,

    et, lorsque nous prenons des billets au bureau,

    c'est pour voir par hasard,

    ou *Deburau.

    Pour la grande musique, elle est notre ennemie :

    et

    mie,

    avec la

    suffisent à nos voeux,

    et le moindre trio fait dresser nos cheveux.

    Eh bien ! Ma pauvre fille, il faut parler musique !

    La basse foudroyante et le ténor phthisique

    nous font l'oeil en coulisse et demandent nos vers ;

    duègne au nez de rubis, ingénue aux bras verts,

    ciel rouge, galonné de quinquets pour la frange,

    il faut décrire tout, jusqu'aux arbres orange.

    La clarinette aspire à des canards écrits,

    et le bugle naissant nous réclame à grands cris.

    Donc, samedi prochain, nous dirons à l'*Europe

    comment tombe le cèdre au niveau de l'hysope,

    et comment, et par quels joueurs d'accordéon,

    l'opéra, devenu pareil à l'odéon,

    a vu, depuis trois ans, aux stalles dédaignées,

    s'empiler en monceau les toiles d'araignées ;

    et comment il a fait, pour trouver un ténor,

    des voyages plus longs que tous ceux d'*Anténor.

    Après tous nos malheurs et ton frac mis en loques,

    tu dois haïr *Thalie et toutes ses breloques ;

    mais si tu peux encor me suivre sans frémir,

    je te promets ce soir ce bijou de *Kashmir

    qu'un faible vent d'été ride comme les vagues,

    et qui passe au travers des plus petites bagues.

    ô parnasse lyrique ! Opéra ! Palais d'or !

    Salut ! L'antique muse, en prenant son essor,

    fait traîner sur ton front ses robes sidérales,

    et défiler en choeur les danses sculpturales.

    Peinture ! Poésie ! Arts encor éblouis

    des rayons frissonnants du soleil de *Louis !

    Musique, voix divine et pour les cieux élue,

    ô groupe harmonieux, beaux-arts, je vous salue !

    ô souvenirs ! C'est là le théâtre enchanté

    où *Molière et *Corneille et *Mozart ont chanté.

    C'est là qu'en soupirant la mort a pris *Alceste ;

    là, *Psyché, toute en pleurs pour son amant céleste,

    a croisé ses beaux bras sur le rocher fatal ;

    là, naïade orgueilleuse aux palais de cristal,

    *Versailles, reine encore, a chanté son églogue ;

    là, parmi les détours d'un charmant dialogue.

    *Angélique et *Renaud, *Cybèle avec *Atys

    ont cueilli la pervenche et le myosotis,

    et la muse a suivi d'un long regard humide

    les amours d'*Amadis et les amours d'*Armide.

    Là, *Gluck avec *Quinault, *Quinault avec *Lulli

    ont chanté leurs beaux airs pour un siècle poli :

    là, *Rossini, vainqueur des lyres constellées,

    fit tonner les clairons de ses grandes mêlées,

    et fit naître à sa voix ces immortels d'hier,

    ces vieux maîtres : *Auber, *Halévy, *Meyerbeer.

    C'est là qu'*Esméralda, la danseuse bohème,

    par la voix de *Falcon nous a dit son poëme,

    et que chantait aussi le cygne abandonné

    dont le suprême chant ne nous fut pas donné.

    Ici *Taglioni, la fille des sylphides,

    a fait trembler son aile au bord des eaux perfides,

    puis la danse fantasque auprès des mêmes flots

    a fait carillonner ses grappes de grelots.

    ô féerie et musique ! ô nappes embaumées

    qu'argentent les willis et les pâles almées !

    ô temple ! Clair séjour de la danse et du luth !

    Parnasse ! Palais d'or ! Grand opéra, salut !

    Le cocher s'est trompé. Nous sommes au gymnase.

    Un peuple de bourgeois, nez rouge et tête rase,

    étale des habits de *Quimper-*Corentin.

    Un notaire ventru saute comme un pantin,

    auprès d'un avoué chauve, une cataracte

    d'éloquence ; sa femme est verte et lit

    elle arbore de l'or et du strass à foison,

    et renifle, et sa gorge a l'air d'une maison.

    Auprès de ce sujet, dont la face verdoie,

    s'étalent des cous nus, pelés comme un cou d'oie

    plumée ; et, pêle-mêle, au long de tous ces bancs

    traînent toute l'hermine et tous les vieux turbans

    qui, du *Rhin à l'*Indus, aient vieilli sur la terre.

    J'apprends que l'un des cous est fille du notaire.

    ô ciel ! Voici, parmi ces gens à favoris,

    un vieux monsieur qui porte un habit de *Paris.

    Il a l'air fort honnête et reste bouche close ;

    adressons-nous à lui pour savoir quelque chose.

    C'est une occasion qu'il est bon de saisir.

    *Moi.

    Monsieur, voudriez-vous me faire le plaisir

    de me dire quels sont ces cous d'oie et ces hommes

    jaunes, et dans quel lieu de la terre nous sommes ?

    Je me suis égaré, cette dame est ma soeur.

    Où suis-je ?

    *Le *Monsieur *Qui *A *L'*Air *Honnête.

    à l'opéra.

    *Moi.

    Vous êtes un farceur !

    *Le *Notaire *Ventru.

    Oui, biche, le rideau que tu vois représente

    le roi *Louis *Quatorze en seize cent soixante

    douze. Il portait, ainsi que l'histoire en fait foi,

    une perruque avec des rubans. Le grand roi,

    entouré des seigneurs qui forment son cortège,

    donne à *Lulli, devant sa cour, le privilège

    de l'opéra, qu'avait auparavant l'abbé

    *Perrin.

    *Un *Des *Cous.

    Papa, je crois que mon gant est tombé.

    *Le *Notaire *Ventru.

    ça se nettoie avec de la gomme élastique.

    *L'*Avoué.

    Oui, madame, j'assigne, et voilà ma tactique.

    *Un *Avocat.

    On l'appelait au *Mans maître *Pichu minor

    et moi maître *Pichu major.

    *M *Josse.

    Le koh-innor...

    *Un *Lampiste *à *Lunettes *D'*Or.

    Silence !

    *Le *Bâton *Du *Régisseur.

    *L'*Avoué.

    Je ne suis pas leur dupe !

    *Second cou.

    Maman, ce gros monsieur veut s'asseoir sur ma jupe.

    *La *Dame *Verte.

    Pince-le.

    *Le *Notaire *Ventru.

    Je ne sais où sera le nouvel

    opéra. C'est, dit-on, à l'ancien que *Louvel...

    *L'*Orchestre.

    Tra, la, la, la, la ; ta, la, la, la, lère.

    *Moi.

    Qu'est-ce

    que ce bruit-là, monsieur ? Qu'a donc la grosse caisse

    contre ces violons enrhumés du cerveau ?

    Et pourquoi préluder à l'opéra nouveau

    par

    *Le *Monsieur *Qui *A *L'*Air *Honnête.

    Monsieur, c'est l'ouverture

    de

    *Moi.

    Ah !

    *L'*Avocat.

    Madame, la nature

    de la pomme de terre est d'aimer les vallons.

    Elle atteint dans le *Puy la grosseur des melons.

    *Premier *Cou.

    Mon corset me fait mal.

    *M *Canaple *Sur *La *Scène.

    *L'*Avocat.

    Que la démocratie

    s'organise, on verra tous les partis haineux

    fondre leurs intérêts.

    *Choeur *Général *Sur *La *Scène.

    *Second *Cou.

    Mon cothurne est cassé.

    *M *Don *Juan *Dans *La *Loge *Infernale.

    Veux-tu nous aimer, *Gothe ?

    Soupons-nous à l'

    *Mlle *Gothe *Sur *La *Scène.

    Non, c'est une gargote.

    *Choeur *Des *Suisses *Sur *La *Scène.

    *Un *Triangle *égaré.

    *Une *Clarinette *Retardataire.

    *Choeur *De *Femmes *Sur *La *Scène.

    *L'*Avoué.

    Monsieur, ma femme est un roseau

    pour la douceur.

    *Un *Violon *Méchant.

    *M *Arnous *Sur *Le *Théâtre.

    *M *Obin *Sur *Le *Théâtre.

    *Premier *Cou.

    *Titine,

    le monsieur met son pied le long de ma bottine.

    *M *Arnoux *Sur *Le *Théâtre.

    *M *Obin *Sur *Le *Théâtre.

    *Le *Notaire *Ventru.

    Monsieur, que pensez-vous du

    de *Rotrou ?

    *Choeur *Des *Suisses *Sur *La *Scène.

    *L'*Avoué.

    Mais ! La pièce est baroque

    ce n'est plus tout à fait dans les moeurs de l'époque.

    Elle aurait eu besoin d'un bon coup de ciseau.

    *Le *Notaire *Ventru.

    Hum ! C'est selon.

    *M *Arnoux *Sur *Le *Théâtre.

    *M *Obin *Sur *Le *Théâtre.

    *Choeur *De *Femmes *Sur *La *Scène.

    *Choeur *De *Femmes *Sur *La *Scène.

    *M *Arnoux *Sur *Le *Théâtre.

    *M *Obin *Sur *Le *Théâtre.

    *La *Dame *Verte.

    J'ai chaud aux joues.

    *Le *Triangle *égaré.

    *La *Clarinette *Retardataire.

    *Le *Notaire *Ventru.

    Bibiche, c'est le morceau que tu joues

    sur ton piano.

    *Premier *Cou.

    ça !

    *L'*Avoué.

    J'ai dit à *Ducluzeau

    ce que c'est que l'affaire.

    *M *Arnoux *Sur *Le *Théâtre.

    *Choeur *De *Femmes *Sur *La *Scène.

    ô ma blonde *évohé, ma muse au chant de cygne,

    regarde ce qu'ils font de ce théâtre insigne.

    ô pudeur ! Autrefois, dans ces décors vivants

    où l'oeil voyait courir le souffle ailé des vents,

    l'eau coulait en ruisseaux dans les conques de marbre,

    et le doigt du zéphyr pliait les feuilles d'arbre.

    L'orchestre frémissant envoyait à la fois

    son harmonie à l'air comme une seule voix ;

    tout le corps de ballet marchait comme une armée :

    les déesses du chant, troupe jeune et charmée,

    belles comme *Ophélie et comme *Alaciel,

    avaient dans le gosier tous les oiseaux du ciel ;

    la danse laissait voir tous les trésors de *Flore

    sous les plis des maillots, vermeils comme l'aurore ;

    c'était la vive *Elssler, ce volcan adouci,

    *Lucile et *Carlotta, celle qui marche aussi

    avec ses pieds charmants, armés d'ailes hautaines,

    sur la cime des blés et l'azur des fontaines.

    L'audace d'une femme, arrêtant ce concours,

    a remis une bande au bas des jupons courts

    et plongé les ténors au sein de la banlieue.

    Cruelle *éris, déesse à chevelure bleue,

    déesse au dard sanglant, déesse au fouet vainqueur,

    change mon encre en fiel ; mets autour de mon coeur

    l'armure adamantine, et dans mon front évoque,

    mètre de clous armé, l'ïambe d'*Archiloque !

    L'ïambe est de saison, l'ïambe et sa fureur,

    pour peindre dignement ces spectacles d'horreur

    et les sombres détails de ce cloaque immense.

    Vous, mesdames, prenez vos flacons, je commence.

    Un fantôme d'*Habneck, honteux de son déchet,

    agite tristement un fantôme d'archet ;

    l'harmonieux vieillard est quinteux et morose :

    il est devenu gai comme *Louis *Monrose.

    Ses violons fameux que l'on voyait, dit-on,

    pleins d'une ardeur si noble, obéir au bâton,

    l'archet morne à présent et la corde lâchée,

    semblent se conformer à sa mine fâchée ;

    et tout l'orchestre, avec ses cuivres en chaudrons,

    ainsi qu'un vieux banquier poursuivant les tendrons,

    ou qu'un vers enjambant de césure en césure,

    lui-même se poursuit de mesure en mesure.

    La musique sauvage et le drôle de cor

    qui guide au premier mai la famille *Bouthor ;

    chez notre *Deburau, les trois vieillards épiques

    qui font grincer des airs pointus comme des piques ;

    le concert souterrain des aveugles ; enfin

    l'antique piano qui grogne à *Séraphin

    et l'orchestre des chiens qu'on montre dans les foires,

    auprès de celui-là charment leurs auditoires.

    Mais si rempli qu'il soit de grincements de dents,

    quels que soient les canards qui barbotent dedans,

    si féroce qu'il semble à toute oreille tendre,

    il vaut mieux que le chant qu'il empêche d'entendre.

    Les choristes, rangés en affreux bataillons,

    marchent

    en traînant des haillons ;

    les femmes, effrayant le dandy qu'elles visent,

    chantent faux des vers faux ; même, elles improvisent !

    ô ruines ! Leurs dents croulent comme un vieux mur,

    et ces divinités, toutes d'un âge mûr,

    dont la plus séduisante est horriblement laide,

    font rêver par leurs os aux dagues de *Tolède.

    Leurs jupons évidés marchent à grands frous-frous,

    et leur visage bleu, percé de mille trous,

    s'étale avec orgueil comme une vieille cible.

    Les hommes sont plus laids encor, si c'est possible.

    Triste fin ! Si l'on songe, en voyant ces objets,

    que ce choeur endurci vaut les premiers sujets !

    Plus de ténors ! Leur

    demande un cataplasme,

    et l'

    le fameux

    tombe dans le marasme.

    En vain *Pillet tremblant envoya ses zélés

    parcourir l'*Italie avec leurs pieds ailés ;

    en vain ils ont fouillé *Rome, ville papale,

    *Naple, où sous l'oranger des femmes au front pâle

    donnent des rendez-vous aux jeunes cavaliers,

    et, courtisane avec des palais en colliers,

    *Venise, où lord *Byron, deux fois vainqueur des

    ondes,

    poussait son noir coursier le long des vagues blondes,

    et *Florence, où l'*Arno, parmi ses flots tremblants,

    mêle l'azur du ciel avec les marbres blancs ;

    jusqu'au golfe enchanteur qu'un paradis limite,

    l'

    ne veut plus lutter, le ténor est un mythe.

    Seul, ô *Duprez ! Toujours plus grand, toujours

    vainqueur,

    toujours lançant au ciel ton chant qui sort du coeur,

    fièrement appuyé sur ta large méthode

    qui reste, comme l'art, au-dessus de la mode,

    ô *Duprez ! ô *Robert ! *Arnold ! *éléazar !

    En voyant les cailloux qu'on met devant ton char,

    et les rivaux honteux que la haine te donne

    lorsque ta voix sublime à la fin t'abandonne,

    toujours maître de toi, tu luttes en héros,

    toujours roi, toujours fort, tandis que tes bourreaux

    inventent vingt ténors devant qui l'on s'incline,

    et qui durent un an, comme la crinoline.

    Ah ! Du moins nous avons la danse, un art divin !

    Et l'homme le plus fait pour être un écrivain,

    célébrât-il *Louis et portât-il perruque,

    fût-il *Caton, fût-il *Boileau, fût-il eunuque,

    ne pourrait découvrir l'ombre d'un iota

    pour défendre à ses vers d'admirer *Carlotta.

    Son corps souple et nerveux a de suaves lignes ;

    vive comme le vent, douce comme les cygnes,

    l'aile d'un jeune oiseau soutient ses pieds charmants,

    ses yeux ont des reflets comme des diamants,

    ses lèvres à l'*éden auraient servi de portes ;

    le jardin de *Ronsard, de *Belleau, de *Desportes,

    devant *Cypre et *Chloris toujours extasiés,

    a, pour les embellir, donné tous ses rosiers.

    Elle va dans l'azur, laissant flotter ses voiles,

    conduire en souriant la danse des étoiles,

    poursuivre les oiseaux et prendre les rayons ;

    et, par les belles nuits, d'en bas nous la voyons,

    dans les plaines du ciel d'ombre diminuées,

    jouer entrelacée à ses soeurs les nuées,

    ouvrir son éventail et se mirer dans l'eau.

    Qu'auriez-vous pu trouver à redire, ô *Boileau ?

    Une chose bien simple, hélas ! La jalousie

    nous cache tout ce luxe et cette poésie,

    de même qu'autrefois, par un crime impuni,

    les mêmes envieux cachaient *Taglioni,

    cet autre ange charmant des cieux imaginaires.

    Sombre *Junon ! Les dieux ont-ils donc des colères ?

    Aimez-vous les décors ? On n'en met nulle part.

    Les vieux servent toujours, percés de part en part,

    et, par la main du temps noircis comme des forges,

    ils pendent en lambeaux comme de vieilles gorges.

    Les arbres sont orange, et dans

    la montagne est percée à jour comme un tunnel.

    Le temple de *Robert, ses colonnes en loques,

    s'agite aux quatre vents comme des pendeloques,

    et le couvent a l'air de s'être bien battu.

    Dans

    enfin,

    l'éruption se fait avec du papier rouge

    derrière lequel brille un lampion qui bouge.

    Le machiniste, un sage, ennemi des succès,

    imite à tour de bras le théâtre-français.

    Les travestissements, les changements à vue,

    les transformations sont comme une revue

    de la garde civique : on les manque toujours.

    Les français, l'odéon, sont les seules amours

    du machiniste en chef ; il a cette coutume

    d'étrangler les acteurs en tirant leur costume.

    Quelques-uns sont vivants ; s'ils en ont réchappé,

    c'est que le machiniste une fois s'est trompé,

    et rêvait d'

    qu'il voit chaque dimanche.

    C'est un homme d'esprit qui prendra sa revanche.

    Enfin on voit maigrir, comme corps de ballet,

    des marcheuses, des rats, peuple jeune et fort laid,

    qui n'ont jamais dansé qu'à la grande-chartreuse,

    et qui, réjouissant de leur maigreur affreuse

    les lions estompés au cosmétique noir,

    prennent des rendez-vous pour le souper du soir.

    Nous qui ne sommes pas danseurs, prenons la fuite.

    Allons souper, aussi, mon coeur, mais tout de suite,

    et tâchons d'oublier en buvant de bons vins,

    cet hospice fameux, rival des quinze-vingts.

    fille du grand *Daumier ou du sublime *Cham,

    toi qui portes du reps et du madapolam,

    ô muse de *Paris ! Toi par qui l'on admire

    les peignoirs érudits qui naissent chez *Palmyre,

    toi pour qui notre siècle inventa les

    amour du puff et du succès !

    Toi qui chez la comtesse et chez la chambrière

    colportes *Marivaux retouché par *Barrière,

    précieuse *évohé ! Chante, après *Gavarni,

    l'amour et la constance en brodequin verni.

    Dans ces pays lointains situés à dix lieues,

    où l'*Oise dans la *Seine épanche ses eaux bleues,

    parmi ces saharas récemment découverts,

    quand l'indigène ému voit passer dans nos vers

    ces mots déjà caducs :

    ou

    il se sent vivre, un charme impérieux l'arrête,

    et, l'oeil dans le ciel bleu, ce naturel naïf

    évacue un sonnet imité de *Baïf.

    Il voit dans le verger qu'il eut en patrimoine

    tourbillonner en choeur les cauchemars d'*Antoine ;

    le voilà frémissant et rouge comme un coq ;

    il rêve, il doute, il songe, et tout son *Paul *De

    *Kock

    lui revient en mémoire, et, pendant trois semaines,

    fait partir à ses yeux des chandelles romaines

    et dans son coeur troublé met tout en désarroi,

    comme un feu d'artifice à la fête du roi.

    La grisette ! Il revoit la petite fenêtre.

    Les rayons souriants du jour qui vient de naître,

    à leur premier réveil, comme un cadre enchanteur,

    dorent les liserons et les pois de senteur.

    Une tête charmante, un ange, une vignette

    de ce gai reposoir agace la lorgnette.

    En voyant de la rue un rire triomphant

    ouvrir des dents de perle, on dirait qu'un enfant

    ou quelque sylphe, épris de leurs touffes écloses,

    a fait choir, en jouant, du lait parmi les roses.

    Elle va se lacer en chantant sa chanson,

    ou

    ou bien

    puis tendre son bas blanc sur sa jambe plus blanche ;

    les plis du frais jupon vont embrasser sa hanche

    et cacher cent trésors, et du cachot de grès

    la naïade aux yeux bleus glissera sans regrets

    sur sa folle poitrine et sur son col, que baigne

    un doux or délivré des morsures du peigne.

    Ce poëme fini, dans un grossier réseau

    elle va becqueter son déjeuner d'oiseau,

    puis, son ouvrage en main, sur sa chaise de paille,

    la folle va laisser, tandis qu'elle travaille,

    l'aiguille aux dents d'acier mordre ses petits doigts ;

    et, comme un frais méandre égaré dans les bois,

    elle entrelacera, modeste poésie,

    les fleurs de son caprice et de sa fantaisie.

    C'est ce que l'on appelle une brodeuse. Hélas !

    Depuis qu'en retournant le sept de coeur ou l'as

    dans un estaminet, le premier journaliste

    contre les murs du beau dressa cette baliste,

    combien ces frais croquis, plus faux que des jetons,

    ont fait dans notre ciel errer de *Phaétons !

    La grisette, doux rêve ! Elle avait ses apôtres,

    *Balzac et *Gavarni mentaient comme les autres ;

    mais un jour, roqueplan, s'étant mis à l'affût,

    fit un mot de génie, et la

    fut !

    Hurrah ! Les *Agla ! Les *Ida, les charmantes,

    en avant ! Le champagne a baptisé les mantes !

    Déchirons nos gants blancs au seuil de l'opéra !

    Après, la maison-d'or ! *Corinne chantera,

    et puis, nous ferons tous, comme c'est nécessaire,

    des mots qui paraîtront demain dans

    des mots tout neufs, si bien arrachés au trépas

    qu'ils se rendent parfois, mais qu'ils ne meurent

    pas !

    écoutez *Célina, reine de la folie,

    qui chante :

    ah ! Bravo ! C'est épique, on ne peut le nier.

    Quel aplomb ! Je l'avais entendu l'an dernier.

    Vive *Aspasie ! *Athène existe au sein des gaules !

    Ah ! Nous avons vraiment les femmes les plus drôles

    de *Paris ! *Périclès vit chez nous en exil,

    et nous nous amusons beaucoup. Quelle heure est-il ?

    *évohé ! Toi qui sais le fond de ces arcanes,

    depuis la maison-d'or jusqu'au bureau des cannes,

    toi qui portas naguère avec assez d'ardeur

    le claque enrubanné du fameux débardeur,

    apparais ! Montre-nous, ô femme sibylline,

    la pâle vérité nue et sans crinoline,

    et convaincs une fois les faiseurs de journaux

    de complicité vile avec les oudinots.

    Descends jusques au fond de ces hontes immenses

    qui sont le paradis des auteurs de romances,

    dis-nous tous les détours de ces gouffres amers,

    et si la perle en feu rayonne au fond des mers,

    et quels monstres, avec leurs cent gueules ouvertes,

    attendent le nageur tombé dans les eaux vertes.

    Mène-nous par la main au fond de ces tombeaux !

    Montre ces jeunes corps si pâles et si beaux

    d'où la beauté s'enfuit sans y laisser de trace !

    Fais-nous voir la misère et l'impudeur sans grâce !

    Parcours, en exhalant tes regrets superflus,

    ces beaux temples de l'âme où le dieu ne vit plus,

    sans craindre d'y salir ta cheville nacrée.

    Tu peux entrer partout, car la muse est sacrée.

    Mais du moins, *évohé, si la jeune *Laïs,

    avec ses cheveux d'or, blonds comme le maïs,

    n'enchaîne déjà plus son amant *Diogène ;

    dans ces murs, d'où s'enfuit l'esprit avec la gêne,

    si leur *Alcibiade et leur sage *Phryné

    abandonnent déjà ce siècle nouveau-né,

    si dans notre *Paris leur *Athène est bien morte,

    dans les salons dorés où se tient à la porte

    la noble courtoisie, il est plus d'un grand nom

    qui dérobe la grâce et l'esprit de *Ninon.

    Là, l'amour est un art comme la poésie :

    le caprice aux yeux verts, la rose fantaisie

    poussent la blanche nef que guident sur son lac

    *Anacréon, *Ovide et le divin *Balzac,

    et mènent sur ces flots, célébrés par *Horace,

    la volupté plus belle encore que la grâce !

    ô doux mensonge ! Avec tes ongles déjà longs,

    tâche d'égratigner la porte des salons,

    et peins-nous, s'il se peut, en paroles courtoises,

    les amours de duchesse et les amours bourgeoises !

    Dis l'enfant chérubin tenant sur ses genoux

    sa marraine aujourd'hui moins sévère ; dis-nous

    la nouvelle *Phryné, lascive et dédaigneuse,

    instruisant les d'espard après les maufrigneuse ;

    dis-nous les nobles seins que froissent les talons

    des superbes chasseurs choisis pour étalons ;

    et comment *Mess..... encore extasiée,

    au matin rentre lasse et non rassasiée,

    pâle, essoufflée, en eau, suivant l'ombre du mur,

    tandis que son époux, orateur déjà mûr,

    dans son boudoir de pair désinfecté par l'ambre,

    interpelle un miroir en attendant la chambre !

    Ah ! Posons nos deux mains sur notre coeur sanglant !

    Ce n'est pas sans gémir qu'on cherche, en se troublant,

    quelle plaie ouvre encor, dans l'éternelle *Troie

    l'implacable *Vénus attachée à sa proie !

    Quand il parle d'amour sans pleurer et crier,

    le plus heureux de nous, quel que soit le laurier

    ou le myrte charmant dont sa tête se ceigne,

    sent grincer à son flanc la blessure qui saigne,

    et se plaindre et frémir avec un ris moqueur,

    l'ouragan du passé dans les flots de son coeur !

    *Moi.

    Chère infidèle ! Eh bien, qu'êtes-vous devenue ?

    Depuis quinze grands jours vous n'êtes pas venue !

    Chaque nuit, à l'abri du rideau de satin

    ma bougie en pleurant brûle jusqu'au matin ;

    je m'endors sans tenir votre main adorée,

    et lorsque vient l'aurore en voiture dorée,

    je cherche vainement dans les plis des coussins

    les deux nids parfumés où s'endorment vos seins,

    comme de doux oiseaux sur le marbre des tombes.

    Qu'en faisiez-vous là-bas de ces blanches colombes !

    Et tu ne m'aimes plus.

    *évohé.

    Je vous aime toujours.

    *Moi.

    Un corset un peu juste, une étroite chaussure

    ont-ils égratigné d'une rose blessure

    tes beaux pieds ou ton corps, ces parterres de lys ?

    Un drap trop dur, froissé par tes ongles polis,

    a-t-il enfin meurtri, dans ses neiges tramées,

    ces bijoux rougissants, pareils à des camées ?

    As-tu brisé ta lyre en chantant

    ou bien, dans ces doux vers que l'on aimait déjà,

    ta soubrette *Vénus a-t-elle d'aventure

    en te frisant le soir, plié ta chevelure ?

    As-tu perdu ta voix et ton gazouillement ?

    *évohé.

    Je suis harmonieuse et belle, ô mon amant !

    Le drap tissu de neige et la chaussure noire

    n'a pas mordu mes pieds ni mes ongles d'ivoire ;

    ma soubrette *Cypris, qui m'aime quand je veux,

    n'a pas coupé nos vers pour plier mes cheveux ;

    on admire toujours les cent perles féeriques

    et les purs diamants de mes écrins lyriques :

    les cupidons ailés me servent d'échansons,

    et ma lyre d'argent est pleine de chansons.

    *Moi.

    Pourquoi donc as-tu fui la guerre, toi si brave !

    On reprend

    et

    on te brave !

    Pends-toi, grillon !

    enfin deux

    et ce bache espagnol ivre de nénufar,

    *Damon, ce grand auteur dont la muse civile

    enchanta si longtemps et *Lecourt et *Clairville,

    est photographié pour ses talents divers.

    Le *Tarn au loin gémit et demande tes vers.

    *évohé.

    N'as-tu donc point appris la fameuse nouvelle

    que l'aveugle déesse, en enflant sa grande aile,

    emporte aux quatre coins de l'univers connu ?

    *Moi.

    Non.

    *évohé.

    Tremblez, terre et cieux ! Le maître est revenu.

    *Némésis-*Astronome assemble ses vieux braves,

    *Barberousse s'abat au milieu des burgraves,

    *Barthélemy rayonne, allumant son fanal,

    cloué, dernier pamphlet, à son dernier journal !

    Sa muse a, réveillant la satire latine,

    comme un titan vaincu foudroyé *Lamartine ;

    pareille aux grands parleurs d'*Homère et de *Hugo,

    des rocs du feuilleton, la dure virago

    sur ce cygne plus doux que les cygnes d'*Athènes

    fait couler à grand bruit ces paroles hautaines :

    " rimeur, que viens-tu faire au milieu du forum ?

    Cet acte audacieux blesse le décorum.

    Reste avec tes pareils ! Les gens de ta séquelle

    ne sont bons qu'à rimer une ode, telle quelle !

    Tu chantes l'avenir ! Le présent est meilleur.

    Ce qui te convenait, ô divin rimailleur,

    c'était, ambitieux du laurier de *Pindare,

    d'aller au mont *Horeb pincer de la guitare

    pour ton roi légitime, ou plutôt d'arranger

    des vers de confiseur au

    mais ta loi sociale est une rocambole,

    et *Fourier n'est qu'un âne à côté de *Chambolle.

    Tombe ! Et le front meurtri par mon divin talon,

    souviens-toi désormais d'admirer *Odilon. "

    ainsi par ses gros vers, *Némésis-*Astronome,

    du poëte sacré, déjà plus grand qu'un homme,

    a brisé fièrement les efforts superflus.

    *Moi.

    Tiens ! Je n'en savais rien.

    *évohé.

    *Lamartine non plus.

    Bois, ô mon jeune amant ! Les larmes que je pleure,

    si *Némésis renaît, il faut donc que je meure ?

    *Moi.

    Ta lèvre a le parfum du rosier d'*Orient

    où l'aurore a caché ses perles en riant ;

    cette bouche folâtre est pleine de féeries,

    et, comme un voyageur dans des plaines fleuries,

    mon coeur s'est égaré parmi ses purs contours.

    *évohé.

    Si je chantais encor, m'aimeriez-vous toujours ?

    *Moi.

    Eh ! Que nous fait à nous *Némésis-*Astronome ?

    Nous, et *Barthélemy que le siècle renomme,

    nous avons deux tréteaux dressés sous le ciel bleu,

    deux magasins d'esprit : le sien ressemble à feu

    le théâtre-français ; une loque de toile

    y représente *Rome ou bien l'arc-de-l'étoile,

    au choix. Sur le devant, de lourds alexandrins,

    portant tout le harnois classique sur les reins,

    casaques abricot, casques de tragédie,

    déclament, et s'en vont quand on les congédie :

    ce genre sérieux n'a pas un grand succès ;

    on y bâille parfois, mais c'est l'esprit français ;

    cela craque partout, mais c'est la bonne école,

    et cela tient toujours avec un peu de colle.

    Si quelque spectateur pourtant semble fâché,

    on lui répond : *Voltaire ! Et le mot est lâché.

    Mais nous, nous travaillons pour un public folâtre.

    En haillons ! En plein vent ! Nous sommes le théâtre

    à quatre sous, un bouge. Aux regards des titis

    nous offrons éléphants, diables et ouistitis :

    dans notre drame bleu, la svelte colombine

    a cent mille oripeaux pour cacher sa débine.

    Ses paillettes d'argent et son vieux casaquin

    éblouissent encor ce filou d'arlequin ;

    on y mord, et parfois la gorge peu sévère

    sort de la robe, et luit sous les colliers de verre.

    Pour moi, sur ce théâtre où le bon goût n'est pas,

    paillasse enfariné, je m'escrime à grands pas ;

    et quand le vieux cassandre y passe à l'étourdie,

    au lieu de feindre un peu, comme la tragédie,

    de percer d'un poignard ce farouche barbon,

    je lui donne des coups de trique, pour de bon !

    Sur cette heureuse scène, on voit le saut de carpe

    après le saut de sourd ; et *Rose, sans écharpe,

    s'y montre à ce public trois fois intelligent,

    faisant la crapaudine au fond d'un plat d'argent.

    La fée azur, tenant le diable par les cornes,

    y court dans son char d'or attelé de licornes ;

    l'ange y dévore en scène un cervelas ; des feux

    de bengale, des feux charmants, roses et bleus,

    embrasent de rayons cette aimable folie,

    et l'on y voit passer *Rosalinde et *Célie !

    *évohé.

    Eh bien ! Donc, à vos rangs, guignols et bilboquets !

    Ouvrons la grande porte ! Allumons les quinquets !

    Mets ton collier de strass, reine de *Trébizonde !

    Entrez, entrez, messieurs ! Entrez ! Suivez le monde !

    Hurrah, la grosse caisse, en avant ! Patapoum !

    Zizi, boumboum ! Zizi, boumboum ! Zizi, boumboum !

    Venez voir

    orgeat, de la bière, du cidre !

  8. LES FOLIES NOUVELLES

    élite du monde élégant,

    qui fuis le boulevard de gand,

    ô troupe élue,

    pour nous suivre sur ce tréteau

    où plane l'esprit de *Wateau,

    je te salue.

    Te voilà ! Nous pouvons encor

    te dévider tout le fil d'or

    de la bobine !

    En un rêve matériel,

    nous te montrerons *Ariel

    et colombine.

    Dans notre parc aérien

    s'agite un monde qui n'a rien

    su de morose :

    bouffons que l'amour, pour son jeu,

    vêtit de satin rayé, feu,

    bleu-ciel et rose !

    Notre poëme fanfaron,

    qui dans le pays d'*Obéron

    toujours s'égare,

    n'est pas plus compliqué vraiment

    que ce que l'on songe en fumant

    un bon cigare.

    Tu jugeras notre savoir

    tout à l'heure, quand tu vas voir

    la pantomime.

    Je suis sûr que l'*Eldorado

    où te conduira *Durandeau

    sera sublime.

    Car notre *Thalie aux yeux verts,

    qui ne se donne pas des airs

    de pédagogue,

    a tout *Golconde en ses écrins :

    seulement, cher public, je crains

    pour son prologue !

    Oui ! Moi qui rêve sous les cieux,

    je fus sans doute audacieux

    en mon délire,

    d'oser dire à l'ami *Pierrot :

    tu seras valet de *Marot,

    porte ma lyre !

    Mais quoi ! Je suis bien accoté.

    N'ai-je pas là, pour le côté

    métaphysique,

    *Paul, français vraiment né malin !

    Puis voici kelm, et trivelin

    fait la musique !

    *Berthe, *Lebreton, *Mélina,

    avec *Suzanne *Senn, qui n'a

    rien de terrestre,

    dansent au fond de mon jardin

    parmi les fleurs, et *Bernardin

    conduit l'orchestre !

    écoute *Louisa *Melvil !

    N'est-ce pas un ange en exil

    que l'on devine

    sous les plis du crêpe flottant,

    lorsqu'elle chante, et qu'on entend

    sa voix divine ?

    Ravit-elle pas, front vermeil,

    avec ses cheveux de soleil

    lissés en onde,

    le paysage triomphant,

    belle comme *Diane enfant,

    et blanche ! Et blonde !

    Pour ces accords et pour ces voix,

    pour ces fillettes que tu vois,

    foule choisie,

    briller en leur verte saveur,

    daigne accueillir avec faveur

    ma poésie !

    Car, sinon mes vers, peu vantés !

    Du moins tous ces fronts inventés

    pour qu'avril naisse,

    comme en un miroir vif et clair,

    te feront entrevoir l'éclair

    de la jeunesse !

    *Un *Bourgeois.

    Au meurtre ! épargnez un bourgeois !

    j'ai donné contre

    un mur, et j'ai cassé le verre de ma montre !

    Mon chapeau défoncé s'est tout aplati sur

    ma tête. C'en est fait, je suis mort, à coup sûr !

    Non, je ne suis pas mort, mais je suis plein de plâtre.

    Où suis-je ? C'est l'enfer, ou bien c'est un théâtre !

    Oui, voilà des décors. Que c'est vilain de près !

    Un ancien a raison de dire en mots exprès

    que, même à soixante ans, un homme n'est pas sage !

    je crois sans plus d'affaire enfiler un passage,

    (je venais de dîner au prochain restaurant ; )

    j'entre, je m'aplatis le nez contre un torrent !

    Je crève une forêt, et ma jambe, qu'attrape

    un câble, s'engloutit dans le trou d'une trappe !

    Mon père l'exprimait judicieusement :

    " quoiqu'on y voie, avec leur sourire charmant,

    des femmes, aux regards célestes, aux cous lisses,

    on ne se saurait trop méfier des coulisses :

    on peut trop aisément s'y faire estropier ! "

    mais je n'avais pas vu cela ! Sac à papier !

    Le bel endroit ! Quelle est cette superbe salle ?

    Quel luxe ! Ma surprise est vraiment colossale !

    Je ne reconnais rien du tout ; pourtant je sais

    qu'ici je ne suis pas au théâtre-français !

    S'il passait dans ces lieux, où le hasard m'amène,

    quelque acteur, un suppôt de l'art de *Melpomène,

    je saurais si ces murs, qui n'ont rien de mesquin,

    abritent le cothurne ou bien le brodequin !

    Distinction utile, et même principale !

    justement, j'en vois un qui vient. Comme il est

    pâle !

    On dirait un malade, avec son blanc sarrot !

    *Le *Bourgeois, *Pierrot.

    *Le *Bourgeois,

    monsieur est souffrant ?

    non ! Tant mieux.

    *Le *Bourgeois,

    " je suis *Pierrot ! "

    il est *Pierrot ! Dieux c'est ici que *Pierrot loge !

    Il est *Pierrot !

    monsieur, cela fait votre éloge.

    Vous dites que je suis joli pour un barbon,

    et que je suis trop bon ! Je ne suis pas trop bon,

    car votre accueil m'enchante, et, depuis ma naissance,

    je désirais l'honneur de votre connaissance !

    et... vous ne parlez pas ?

    non ? Les gens bienséants

    parlent fort peu !

    quelle est la muse de céans ?

    la folie ? Ah ! Vraiment ! Votre salle est divine !

    Son aspect est gai comme un pinson !

    je devine.

    Vous me dites que, même au temps du roi *Louis,

    rien d'aussi magnifique, aux regards éblouis

    ne parut !

    ah ! Fort bien ! Je vous entends. Nous sommes

    d'accord. Il a fallu donner de fortes sommes

    pour la faire, éventrer d'énormes galions,

    et mettre des ducats dessus des millions !

    quel genre voulez-vous jouer ? La tragédie ?

    C'est un genre français, excellent quoi qu'on die !

    non ! Le drame ?

    non plus ?

    ah ! Vous ne voulez pas

    marcher toujours en deux, fendus comme un compas,

    et faire trembler tout, jusques à la *Bastille,

    pour crier à la fin : " ciel ! Ma mère ! Ma fille ! "

    le vaudeville ?

    non ! Vous avez trop d'esprit.

    cher *Monsieur *Pierrot, nul jamais ne vous comprit

    aussi bien que je fais, grâce au style, sublime

    et touchant à la fois, de votre pantomime.

    Mais,

    quoiqu'elle me rende extrêmement content,

    ne pourrais-je causer avec quelque habitant

    de ce petit endroit cher à la fantaisie,

    en simple prose, ou même en simple poésie ?

    *Le *Bourgeois,

    mais quel est cet éclair en habit de gala ?

    Comme je clorais bien avec ce démon-là

    le chapitre éternel de mes mélancolies !

    *Le *Bourgeois, *Pierrot, *Le *Lutin.

    *Le *Lutin.

    Moi ? Je suis le lutin des nouvelles folies !

    Chantons, rions, dansons, tâchons de vivre encor !

    Voyez mes grands cheveux faits de lumière et d'or !

    Et mes yeux ! Des tisons d'enfer ! Voyez mes lèvres

    où l'amour et la lyre ont mis toutes leurs fièvres !

    Mes joyaux ! Mes habits où ruissellent des fleurs !

    Pleurez-vous, cher monsieur ? Je viens sécher les

    pleurs !

    écoutez mes chansons de danseuse bohème !

    Et surtout, aimez-moi d'abord : je veux qu'on m'aime !

    Laissez-moi folâtrer, bacchante, avec mes soeurs,

    et je vous verserai ce vin, cher aux penseurs

    saintement couronnés de raisins et de lierre,

    dont s'enivrait *Lesage et que goûtait *Molière !

    *Le *Bourgeois.

    Buvons-en ! Buvons-en beaucoup !

    *Le *Lutin,

    à ta santé,

    ô bourgeois, cher public, d'un sourire enchanté !

    Toi qui de me comprendre es encore seul digne !

    Toi qui rêves, poëte, accoudé sous ma vigne !

    Préfère mes rosiers à la blancheur des lys !

    J'ai réjoui ton père et je berce ton fils !

    Aime-moi chancelante, et pourtant sérieuse !

    Je suis la farce antique, immortelle et joyeuse,

    et tous mes serviteurs furent tes échansons.

    Trinquons ! Au vin de *France !

    *Le *Bourgeois.

    Au franc rire !

    *Le *Lutin.

    Aux chansons !

    i

    au fond du vin se cache une âme !

    *Pierrot, dans le cristal vermeil

    verse-moi la liqueur de flamme :

    c'est le printemps, c'est le soleil !

    Elle enivre notre souffrance

    sur cette terre où nous passons !

    Amis ! Vivent les vins de *France

    et le délire des chansons !

    Ii

    avec leur parure choisie,

    avec leurs beaux fronts empourprés,

    la musique et la poésie

    sortiront de ces flots sacrés.

    La joie et la blonde espérance

    les versent à leurs nourrissons !

    Amis ! Vivent les vins de *France

    et le délire des chansons !

    *Le *Bourgeois,

    lutin, je vous adore !

    allons, je suis fou d'elle !

    pourtant si ma mémoire est encore fidèle,

    vous n'aviez pas jadis cet habit provoquant !

    Je vous voyais, c'était... non, je ne sais plus quand,

    dans de grands corridors, mais longs de plusieurs

    aunes !

    Votre robe était verte, avec des rubans jaunes !

    Et puis, vos matelas n'étaient pas bien cardés !

    *Le *Lutin,

    ah ! Ma mère ! La salle ancienne ! Regardez.

    *Le *Bourgeois, *Pierrot, *Le *Lutin,

    *L'*Ancienne *Salle.

    *L'*Ancienne *Salle.

    I

    non, messieurs, sur ma parole,

    je n'étais pas belle, mais

    aussi comme j'étais folle !

    Le jupon troussé, j'aimais

    le rire et la gaudriole !

    Je chantais *Sancho *Pança !

    *Le *Bourgeois.

    Oui, je me souviens de ça !

    *L'*Ancienne *Salle.

    Avec une gaîté rare

    alors je vous amusais,

    puis je grattais ma guitare

    et je disais... je disais...

    digue, digue, don.

    ii

    *L'*Ancienne *Salle.

    J'avais encor la voix nette,

    les yeux d'étincelles pleins ;

    et je jetais ma cornette

    par-dessus tous les moulins,

    et jamais marionnette

    plus haut ne se trémoussa !

    *Le *Bourgeois.

    Oui, je me souviens de ça !

    *L'*Ancienne *Salle.

    Avec une gaîté rare

    alors je vous amusais,

    puis je grattais ma guitare,

    et je disais... je disais :

    digue, digue, don.

    *Le *Lutin,

    eh bien, que dites-vous de sa voix ?

    *Le *Bourgeois.

    Fort touchante.

    Pour moi, sac à papier ! J'aime ce qu'elle chante !

    Oui, cette ancienne salle a vraiment l'air ouvert !

    Mais, ma foi ! Son costume est trop jaune et trop vert !

    quoiqu'elle vaille moins que ce qu'elle dérobe,

    mon cher petit démon, j'aime mieux votre robe !

    *Le *Lutin,

    eh ! Qu'importe ! Elle a su venir au bon moment !

    Mais je parais, et d'elle il reste seulement,

    voyez ! Cet art bouffon qui fit sa jeune gloire !

    *Le *Comédien *Bouffon.

    Oui, c'est moi, me voilà ! Vous savez mon histoire.

    Je naquis près des dieux antiques, mes voisins,

    sur un lourd chariot couronné de raisins !

    Puis, sur tous les tréteaux et sur toutes les

    planches

    j'ai fustigé le vent de mon rire aux dents blanches !

    En lançant, comme dit *Hamlet : " des mots, des mots ! "

    j'ai distrait quelquefois le passant de ses maux !

    Polichinelle et clown, j'ai su, qu'on s'en souvienne,

    joindre à l'humour anglais la verve italienne !

    J'aurai fini ma tâche et rempli mon devoir,

    si vous voulez aussi vous égayer à voir,

    au bruit de la crécelle et du tambour de basque,

    frissonner ma crinière et grimacer mon masque !

    Cherchez-vous la maison de *Scapin ? C'est ici !

    Et les enfants seront les bienvenus aussi !

    ô gaîté ! Dans ce temple heureux où tu t'installes,

    nous avons peint des fleurs et rembourré des stalles !

    messieurs, sur ces dossiers vraiment miraculeux,

    vous pourrez à loisir rêver des pays bleus !

    Ces frêles ornements, ces riches arabesques,

    où court la fantaisie en dessins pittoresques,

    trahissent le cachet de leur peintre, qu'en bon

    français il faut nommer...

    *Le *Bourgeois.

    Il faut nommer...

    *Le *Comédien *Bouffon.

    *Cambon !

    Craignez-vous que jamais le bon goût ne rature

    ces chefs-d'oeuvre ?

    *Le *Bourgeois.

    Parlons un peu littérature.

    *Le *Comédien *Bouffon.

    Nos acteurs ?

    ils mettront la critique aux abois.

    Quoiqu'ils soient si jolis, ils ne sont pas de bois !

    Voyez ! C'est arlequin avec sa colombine,

    ce joli couple en qui le poëte combine

    l'âme avec le bonheur se cherchant tour à tour,

    et l'idéal avide, en quête de l'amour !

    Voici léandre encor, voici polichinelle,

    un gaillard vicieux comme la tour de *Nesle !

    Et le plus grand de tous, calme comme un romain

    le plus spirituel, le plus vraiment humain,

    formidable, et toujours plus grand que sa fortune,

    mon cher ami pierrot, le cousin de la lune !

    Isabelle ! Oiseau bleu qui chante en sa prison !

    Et cassandre tremblant, sot comme la raison !

    *Le *Bourgeois.

    Et que racontent-ils ?

    *Le *Lutin.

    Une histoire profonde,

    toujours vieille et toujours jeune, comme le monde !

    Colombine, cet ange au souple casaquin,

    a laissé ramasser son coeur par arlequin,

    un don juan de hasard, qui, gracieux et leste,

    fait chatoyer sur lui tout l'arc-en-ciel céleste !

    Restez, dit la raison ; fuyez, leur dit l'amour !

    Par les champs d'épis mûrs, baignés des feux du jour,

    par les noires forêts, par l'azur des grands fleuves,

    ils vont ! Mais soutenus dans toutes ces épreuves,

    le feuillage s'éclaire au bruit de leurs chansons ;

    un repas sort pour eux du milieu des buissons ;

    sur leurs pas, que dans l'air suivent des harmonies,

    des barques et des chars, poussés par les génies,

    leur offrent un abri sous des voiles flottants,

    et tout leur réussit, parce qu'ils ont vingt ans !

    i

    ce roman-là, c'est la vie !

    Que, sous le manteau des bois,

    l'âme et la lèvre ravie

    vont épeler à la fois !

    Dans leur humeur vagabonde,

    barbe grise et tête blonde

    le poursuivent tour à tour !

    Il n'est qu'une histoire au monde,

    c'est l'histoire de l'amour.

    Ii

    beau pays de la féerie,

    que nul encor n'a trouvé,

    doux *éden, terre fleurie,

    au moins nous t'avons rêvé !

    ô mes soeurs, ô filles d'*ève,

    lorsqu'en mai frémit la sève,

    quand le ciel sourit au jour,

    pour nous il n'est qu'un beau rêve,

    c'est le rêve de l'amour !

    Iii

    l'un sur sa lyre d'ivoire,

    sous les feux de l'*Orient,

    dit en vers sacrés la gloire

    et son laurier verdoyant.

    Sous la pourpre ou la dentelle,

    l'autre chante, ô *Praxitèle,

    ta déesse au fier contour :

    mais la chanson immortelle

    c'est la chanson de l'amour.

    *Le *Bourgeois.

    C'est parfait !

    *Le *Comédien *Bouffon.

    Cependant *Cassandre avec léandre

    les poursuivent. Mais quoi ! Le beau-père et le gendre

    se déchirent la jambe à tous les traquenards !

    Tantôt on les fusille ainsi que des renards :

    ils se battent entre eux. L'un crie : on m'assassine !

    Pour l'autre, le bon vin se change en médecine.

    Cent mille soufflets, l'un sur l'autre copiés,

    alternent sans relâche avec les coups de pieds.

    Veulent-ils lire ? On voit se hausser la chandelle,

    qui revient, si plus tard on n'a plus besoin d'elle.

    Et, tandis que *Léandre a gâté son pourpoint,

    et que le vieux barbon, toujours plus mal en point,

    est rossé par le diable et par son domestique,

    les amoureux, ravis au pays fantastique,

    s'enivrent dans les bois des senteurs du printemps,

    et tout leur réussit, parce qu'ils ont vingt ans !

    *Le *Lutin.

    Grâce à la fée, un jour, après tous ces longs jeûnes,

    les voilà mariés ! Ils sont beaux, ils sont jeunes !

    Sous un soleil tournant qui brille à ciel ouvert,

    dans un palais orné de paillon rouge et vert,

    on les unit, et l'air, rempli d'apothéoses,

    se teint de fleur de soufre, et d'azur et de roses !

    *Le *Comédien *Bouffon.

    Pendant tout ce temps-là, doux, pensif et railleur,

    dérobant tout, mangeant et buvant du meilleur,

    et ne s'intéressant à rien, comme les sages,

    *Pierrot s'est promené parmi les paysages,

    sans même seulement vouloir tourner les yeux

    vers la fée au char d'or, qui s'enfuit dans les cieux !

    Paresseux et gourmand, voilà dans quelle étoffe

    le gaillard est taillé !

    *Le *Bourgeois.

    C'est un grand philosophe !

    Et j'aime le roman que vous m'avez conté.

    *Le *Comédien *Bouffon,

    c'est le plus beau de tous, il n'est pas dégoûté !

    voulez-vous voir aussi nos nymphes bocagères

    et le choeur bondissant de nos danses légères ?

    Vous avouerez qu'auprès de vous *Vestris marchait !

    que la fête commence !

    hé ! Messieurs de l'archet !

    Ce petit monde-là n'attend qu'une cadence ;

    car pour vous réjouir tout cela chante et danse.

    Nous possédons au moins soixante-treize *Ellsler.

    *Le *Bourgeois.

    Soixante-treize !

    *Le *Comédien *Bouffon.

    Au moins ! Vous les verrez en l'air.

    *Le *Bourgeois.

    Devant mes yeux charmés quand vont-elles s'ébattre ?

    *Le *Comédien *Bouffon.

    Demain ! En attendant, en voici toujours quatre !

    *Le *Bourgeois.

    Voyons.

    *Le *Bourgeois,

    sac à papier ! Je crois qu'une *Péri,

    à vouloir devancer leurs ailes, eût péri !

    C'est divin ! Fougue ardente et grâce printanière !

    mais que faisiez-vous donc à la saison dernière,

    mon ami ? Tâchiez-vous d'instruire en badinant ?

    *Le *Bourgeois.

    J'en suis bien aise ! Eh bien, chantez donc,

    maintenant !

    *Le *Comédien *Bouffon.

    Demandez, faites-vous servir ! Musette ou lyre !

    Romance tendre ou bien séguidille en délire !

    La ballade allemande ou les airs espagnols,

    à votre choix !

    voilà le nid des rossignols !

    *Le *Lutin.

    C'est ici que l'on oublie

    la pâle mélancolie :

    nous nous appelons folie,

    c'est ici qu'on rit encor !

    Accueillez nos babioles,

    laissez nos danses frivoles

    éveiller les chansons folles

    avec leurs clochettes d'or !

    *Le *Comédien *Bouffon.

    Ah ! Souriez-nous ! Le cuivre

    n'empêchera pas de suivre

    notre chant de bonheur ivre !

    Nos habits sont tout luisants ;

    suivant la façon commune,

    nos poëtes sans fortune,

    rêvent au clair de la lune,

    nos danseuses ont seize ans !

  9. OCCIDENTALES

    si limayrac devenait fleur,

    il boirait les pleurs de l'aurore,

    et, penché sur le sein de flore,

    il renaîtrait à ce doux pleur.

    Son faux col serait sa corolle,

    et d'un lys aurait la couleur ;

    j'en ferais des bouquets à rolle,

    si limayrac devenait fleur.

    Si limayrac devenait fleur,

    ducuing pourrait, à la chaumière,

    l'attacher à sa boutonnière

    et s'en faire une croix d'honneur.

    Sur les coteaux et dans les landes,

    enivré d'un rêve enchanteur,

    buloz en ferait des guirlandes,

    si limayrac devenait fleur.

    Si limayrac devenait fleur,

    j'en ornerais, près d'une haie,

    la houlette d'arsène houssaye :

    je l'arracherais sans douleur.

    à côté d'une cucurbite,

    je le cueillerais en l'honneur

    de l'éditeur *Jules *Labitte,

    si limayrac devenait fleur.

    Si limayrac devenait fleur,

    je le mettrais dedans un vase,

    et quelquefois avec extase

    je l'aplatirais sur mon coeur,

    séduit par son pistil attique,

    peut-être un jeune parfumeur

    nous en ferait de l'huile antique,

    si limayrac devenait fleur.

    Hélas ! Limayrac n'est pas fleur

    et ne peut de parfums de menthe

    enivrer un corset d'amante

    ni l'habit noir d'un rédacteur.

    On ne peut faire de pommade

    avec son faux col séducteur :

    jetons au feu cette ballade,

    hélas ! Limayrac n'est pas fleur !

    un jour *Dumas passait : les divers gens de lettres

    devant son gousset plein s'inclinaient à deux mètres,

    en murmurant : " ils sont trop verts ! "

    un mirecourt soudain, fait comme un vilain masque,

    fendit la foule, prit son twine par la basque,

    et lui fit cette scie en vers :

    " *Alexandre *Dumas, compresse de la presse,

    emplâtre universel posé sur sa détresse,

    moxa qu'elle se met partout,

    écoute-moi, pacha de ces maquets sans nombre,

    ombre de *Scudéry, qui de gigogne est l'ombre,

    tu n'es qu'un pitre et qu'un berthoud !

    " tu gâtes le papier de quatre lamartines.

    Comme un féval trop plein tu répands tes tartines

    sur *Carpentras et *Draguignan ;

    ta machine à vapeur fait marcher trois cents plumes

    et tu fais un gâchis en trente-deux volumes

    des mémoires de d'*Artagnan.

    " mais ton jour vient. Il faut dans

    qui

    tombe,

    que le premier-*Paris sous lui creuse ta tombe !

    *Dieu te garde un carcan de bois

    dans

    un journal de dentiste,

    dans les entre-filets du

    et dans

    feuille qui paraît quelquefois !

    " porcher te dira : zut ! Dans le format du

    tes vieux ours écriront les noms de tes victimes ;

    tu les entendras te crier :

    mort et damnation ! Et te traiter de cancre,

    tous ces foetus caducs, ces vieux ours teints de

    l'encre

    qui n'est plus dans ton encrier !

    " ceci t'arrivera, yacoub, sans que chambolle,

    solar ni girardin te soldent une obole

    sur le dernier trimestre échu ;

    lors même que *Dumas, ainsi qu'abdolonyme,

    vieux et plantant ses choux, prendrait le

    pseudonyme

    de falempin ou barbanchu ! "

    *Dumas avait un jonc en bois de sycomore,

    et près de lui *Gautier, qui sur la tête more

    fait cinq cent vingt pour son écot :

    docile au mirecourt, il lui laissa tout dire,

    pencha son front rêveur, puis avec un sourire

    fit : " as-tu déjeuné, *Jacquot ? "

    v... tout plein d'insolence

    se balance

    aussi ventru qu'un tonneau,

    au-dessus d'un bain de siège,

    ô barège,

    plein jusqu'au bord de ton eau !

    Et le flot, comme une nonne

    qu'on chiffonne,

    sous le profil reflété

    de ce sultan ridicule

    se recule,

    se recule épouvanté.

    Chaque fois que la courroie,

    qui se ploie,

    passe à fleur d'eau dans son vol,

    on voit de l'eau qui s'agite

    sortir vite

    son pied bot et son faux col.

    Reste ici caché, demeure !

    Dans une heure,

    ô spectacle saugrenu !

    Comme actéon le profane

    vit diane,

    tu verras v... tout nu !

    On voit tout ce que calfate

    la cravate,

    et son regard libertin

    appelle comme remède

    à son aide

    *Héloïse *Florentin !

    Mais voyez le sybarite !

    Il hésite

    à finir ses doux ébats ;

    toujours v... se balance

    en silence,

    et va murmurant tout bas :

    " ah ! Si j'étais en décembre

    à la chambre,

    j'étonnerais l'univers,

    et je pourrais de mon ombre

    faire nombre

    à côté de *Monsieur *Thiers !

    " j'obtiendrais une recette

    grassouillette

    pour avoir bien ânonné,

    et la sinécure molle,

    qui console

    des rigueurs de l'abonné !

    " je pourrais sur mon pupitre

    faire, en pitre,

    le bruit traditionnel,

    et, commençant une autre ère,

    ne plus traire

    ainsi se parle en monarque

    et s'embarque

    dans un rêve délirant,

    cet ancien apothicaire,

    qui sut faire

    éclore

    et cependant des coulisses

    ses complices

    vont tous prenant le chemin.

    Voici leur troupe frivole

    qui s'envole,

    cigare aux dents, stick en main !

    En passant chacun s'étonne

    et chantonne,

    et lui dit sur l'air du

    " oh ! La vilaine chenille

    qui s'habille

    si tard un soir d'opéra ! "

    jadis le bel *Oscar, ce rival de *Lauzun,

    du temps que son habit vert pomme était dans un

    état difficile à décrire,

    et qu'enfin ses souliers, vainqueurs du pantalon,

    laissant à chaque pas des morceaux de talon,

    poussaient de grands éclats de rire ;

    du temps que son coachman, pâle comme un navet,

    se recourbait en plis tortueux, et n'avait

    plus de collet d'aucune sorte,

    aucun collet, pas même un collet né révoil,

    et que son vieux chapeau, tout dépourvu de poil,

    prenait des tons de colle-forte ;

    ô misère ! Du temps que, tournant au lasting,

    son pantalon, pareil aux tableaux de drolling,

    avait ce vernis dont tu lustres

    le gilet fabuleux de fontbonne et son frac,

    le bel *Oscar disait à *Paulin *Limayrac,

    publiciste âgé de deux lustres :

    " dieux ! Que ne suis-je assis dans le palais-bourbon !

    Quand pourrai-je appeler *Ledru-*Rollin : mon bon !

    Et dire en voyant *Buloz : qu'est-ce ?

    Et puis n'entendre plus dans quelque affreux recoin

    ce monstre me crier : tu n'iras pas plus loin !

    Quand je veux passer à la caisse.

    " ah ! *Paulin, si j'avais de quoi payer le cens,

    je connaîtrais aussi ces billets de cinq cents

    qui sont les pommes de nos èves,

    j'aurais le rameau d'or qui dompte les tailleurs,

    et je verrais enfin des chemises ailleurs

    que parmi l'azur de mes rêves !

    " oui ! Je ferais remettre un verre à mon lorgnon !

    *Paulin, j'échangerais ma panne et mon guignon

    contre l'aisance fantastique

    du baron de *Rothschild, et, gagnant à ce troc,

    je peignerais alors mes moustaches en croc

    et j'y mettrais du cosmétique !

    " je dînerais chez *Douix ! J'aurais des gants serins

    pour poser au balcon des théâtres forains,

    et, profitant de son extase,

    j'abreuverais de luxe et de verres de rhum

    une divinité, reine des

    de *Montmartre ou du

    ainsi parlait *Oscar, l'âme et les sens aigris,

    du temps qu'il arborait ces vastes chapeaux gris

    empruntés à d'anciens fumistes,

    et que, plein d'amertume, il nettoyait ses gants

    avec ces procédés beaux, mais extravagants,

    qui sont la gloire des chimistes.

    Il parlait, et ses yeux imitaient des poignards.

    Aujourd'hui, grâce aux voix de cinq cents montagnards,

    le voilà sorti de l'ornière

    et *Bignan le célèbre en d'officiels chants ;

    c'est la rosette rouge et non la fleur des champs

    qui fleurit à sa boutonnière.

    Il rayonne, il est mis comme un notaire en deuil.

    Et cependant toujours parmi l'or de son oeil

    brille une perle lacrymale ;

    il erre, les regards cloués sur les frontons,

    triste comme un bonnet, ou comme des croûtons

    de pain, à l'école normale !

    Quel rêve peut troubler ce moderne *Samson,

    qui sur le nez des siens pose, comme l'ourson,

    des discours carrés par la base,

    qui porte ses atours sur lui, comme *Bias,

    et qui, dans les divers patois charabias,

    éclipse charamaule et baze ?

    Ah ! Quelque fiel toujours gâte notre hydromel !

    Oui, quelque chose encore attriste ce *Brummel

    qui, mettant chaque amour en cage,

    effaçait les exploits du chevalier d'*éon !

    Voilà ce qui l'agace : hier à l'odéon

    un

    l'a pris pour bocage !

    avant que la brise adultère

    qui fait le charme des hivers,

    n'émaille de recueils de vers

    les parapets du quai *Voltaire ;

    avant que *Chaumier *Siméon

    n'ait publié ses hexamètres,

    allez, allez, ô gendelettres,

    manger du flan dans l'odéon !

    Des journaux qui mettent leur liste

    dans l'annuaire officiel,

    il n'en est pas qui sous le ciel

    soit plus mordoré que

    messieurs *Arthur, *Jule et *Léon

    en sont les rédacteurs champêtres...

    allez, allez, ô gendelettres,

    manger du flan dans l'odéon !

    Il n'est pas de revue alpestre,

    pas de recueil ni de journal,

    soit chez *Bertin ou *Jubinal,

    où viennent, vers la saint-*Sylvestre,

    plus de ces chevaliers d'*éon

    moitié lorettes, moitié reîtres...

    allez, allez, ô gendelettres,

    manger du flan dans l'odéon !

    Nulle part, dans le ciel sans brise,

    les jeunes gens au coeur de feu

    ne regardent d'un oeil plus bleu

    la lune changer de chemise.

    Ainsi la voyait *Actéon

    faire la planche sous les hêtres...

    allez, allez, ô gendelettres,

    manger du flan dans l'odéon !

    De

    la grande actrice

    fut *Asphodèle *Carabas,

    *Carabas, qu'avec son cabas

    *Buloz guignait pour rédactrice.

    Hélas ! Changeant caméléon,

    lui tourne les guêtres...

    allez, allez, ô gendelettres,

    manger du flan dans l'odéon !

    Un étranger vint à

    jeune, avec un air ahuri.

    était-ce un du

    du

    du

    était-il le *Timoléon

    des saint-almes et des virmaîtres... ?

    Allez, allez, ô gendelettres,

    manger du flan dans l'odéon !

    On ne savait. L'ange *Asphodèle

    fit avec lui deux mille vers.

    Les vermots et les mantz divers

    derrière eux tenaient la chandelle.

    Ils jouaient de l'accordéon

    pour mieux accompagner ces mètres...

    allez, allez, ô gendelettres,

    manger du flan dans l'odéon !

    La lune était à la fin nue,

    et ses rayons, doux aux rimeurs,

    parmi le gaz des allumeurs

    découpaient en blanc sur la nue

    les chapiteaux du panthéon

    pareils à de grands baromètres...

    allez, allez, ô gendelettres,

    manger du flan dans l'odéon !

    Mais contre *Asphodèle rageuses,

    des bas-bleus, confits par gannal,

    dans le salon vert du journal

    dansaient des polkas orageuses.

    Les élèves de l'orphéon

    leur chantaient

    aux fenêtres...

    allez, allez, ô gendelettres,

    manger du flan dans l'odéon !

    On voit dormir au nid la caille

    qu'un vautour fauve lorgne en bas :

    telle s'endormait *Carabas.

    Le jeune homme au lorgnon d'écaille,

    c'était le doux *Napoléon

    citrouillard, l'un de nos vieux maîtres...

    allez, allez, ô gendelettres,

    manger du flan dans l'odéon !

    Voici bien une autre guitare !

    Citrouillard, ce dandy sans foi,

    la fit un jour, de par le roi,

    rédactrice du

    elle y traduit *Anacréon

    en vers de quatre centimètres...

    allez, allez, ô gendelettres,

    manger du flan dans l'odéon !

    le mur lui-même semble enrhumé du cerveau.

    Bocage a passé là. L'odéon, noir caveau,

    dans ses vastes dodécaèdres

    voit verdoyer la mousse. Aux fentes des pignons

    pourrissent les lichens et les grands champignons

    bien plus robustes que des cèdres.

    Tout est désert. Mais non, suspendu, sans clocher,

    le grand nez de *Lucas fend l'air comme un clocher.

    Trop passionné pour *Racine,

    un pompier, dont le dos servait de point d'appui

    à ce nez immoral, sans doute comme lui

    dans le sol avait pris racine.

    Ah ! Dit *Mauzin touché de pareilles vertus,

    poëte, pour calmer ces affreux hiatus

    dont eût rougi même un cipaye,

    et pour te voir tordu par ce rire usité

    chez les hommes qu'afflige une gibbosité,

    dis, que veux-tu que je te paye ?

    Que faut-il pour te voir plus gai que *Limayrac ?

    Veux-tu que je t'apporte une cruche de rack ?

    Dis, que te faut-il pour que rie

    ta prunelle d'azur, pareille à des saphirs,

    et pour voir tes cheveux s'envoler aux zéphyrs

    comme les crins de *Vacquerie !

    Qui pourrait dissiper ton noir abattement ?

    Te faut-il les gants bleus de monsieur nettement,

    ou ce chapeau qui vient de *Tarbe,

    le chapeau d'*Almanzor, cet homme si barbu,

    qu'un barbier peut à peine, à moins d'avoir trop bu,

    en quatre ans lui faire la barbe !

    Pour sourire veux-tu le casque du pompier,

    plus brillant qu'un bonbon plié dans son papier

    ou que l'argent d'une timbale ?

    Que veux-tu, rack, gants, feutre ou casque fait au

    tour ?

    - hélas ! Vieux, dit *Lucas, dit l'homme au nez

    d'autour,

    il me faudrait une autre

    en octobre dernier j'errais dans la campagne.

    Jugez l'impression que je dus en avoir :

    telle qu'une négresse âgée avec son pagne,

    ce jour-là la nature était horrible à voir.

    Vainement fleurissaient le myrte et l'hyacinthe ;

    car au ciel, écrasant les astres rabougris,

    le profil de *Grassot et le nez d'*Hyacinthe

    se dessinaient partout dans les nuages gris.

    Des bâillements affreux défiguraient les antres,

    et les saules montraient, pareils à des tritons,

    tant de gibbosités, de goîtres et de ventres,

    que je les prenais tous pour d'anciens barytons.

    Les fleurs de la prairie, espoir des herboristes !

    - car ce siècle sans foi ne veut plus qu'acheter, -

    semblables aux tableaux des gens trop coloristes,

    arboraient des tons crus de pains à cacheter.

    Et, comme un paysage arrangé pour des kurdes,

    les ormes se montraient en bonnets d'hospodar :

    c'étaient dans les ruisseaux des murmures absurdes,

    et l'on eût dit les rocs esquissés par *Nadar !

    Moi, saisi de douleur, je m'écriai : " *Cybèle !

    Ouvrière qui fais la farine et le vin !

    Toi que j'ai vue hier si puissante et si belle,

    qui t'a tordue ainsi, nourrice au flanc divin ? "

    et je disais : " ô nuit qui rafraîchis les ondes,

    aurores, clairs rayons, astres purs dont le cours

    vivifiait son coeur et ses lèvres fécondes,

    étoiles et soleils, venez à mon secours ! "

    la déesse, entendant que je criais à l'aide,

    fut touchée, et voici comme elle me parla :

    " ami, si tu me vois à ce point triste et laide,

    c'est que *Monsieur *Courbet vient de passer par là ! "

    et le sombre feuillage évidé comme un cintre,

    les gazons, le rameau qu'un fruit pansu courbait,

    chantaient : " bonjour, *Monsieur *Courbet le maître

    peintre !

    *Monsieur *Courbet, salut ! Bonjour, *Monsieur

    *Courbet ! "

    et les saules bossus, plus mornes et plus graves

    que feu les écrivains du

    chantaient en choeur avec des gestes de burgraves :

    " bonjour, *Monsieur *Courbet ! Comment vous

    portez-vous ? "

    une voix au lointain, de joie et d'orgueil pleine,

    faisait pleurer le cerf, ce paisible animal,

    et répondait, mêlée aux brises de la plaine :

    " merci ! Bien le bonjour, cela ne va pas mal. "

    tournant de ce côté mes yeux, -en diligence,

    je vis à l'horizon ce groupe essentiel :

    *Courbet qui remontait dans une diligence,

    et sa barbe pointue escaladant le ciel !

    De mes odes plus tard ayant grossi les listes,

    et sur nos hélicons vivant en zingaro,

    j'ai composé ces vers, assez peu réalistes,

    pour un petit journal appelé

    c'est la feuille ingénue où *Monsieur *De *Suttières,

    arborant sans vergogne un faux nez en corail,

    par son style auvergnat charme les culottières,

    et même porte ombrage à *Ponson *Du *Terrail !

    les soirs qu'au vaudeville, en ce moment sauvé,

    on donne une première

    représentation ; quand le gaz relevé

    couvre tout de lumière ;

    et, pour mieux éblouir de feux les vils troupeaux

    aux faces inconnues,

    quand, les littérateurs déposant leurs chapeaux,

    on voit leurs têtes nues ;

    chez tous ces rois à qui la notoriété

    enseigne ses allures,

    oh ! Quel spectacle étrange en sa variété

    offrent les chevelures !

    Les unes ont l'aspect de l'ébène ; voici

    les châtaines, les fauves,

    et les beaux fronts de neige, et l'on remarque aussi

    le bataillon des chauves.

    C'est le brun *Lherminier, *Sasonoff et *Murger,

    et *Lemer, doux lévite.

    Leurs cheveux peuvent dire en choeur avec *Burger :

    " hurrah ! Les morts vont vite ! "

    *Louis *Boyer, qui prit plus d'une alaciel

    à plus d'un roi de garbe,

    dissimule son nez, organe essentiel,

    sous de grands flots de barbe.

    Son visage pourtant n'est pas seul envahi

    comme celui d'un serbe,

    et de goy, dont les mots ont un parfum d'aï,

    n'est pas non plus imberbe !

    Car le temps, qui sourit de se voir encensé

    par ceux dont il se joue,

    met, comme un lierre épars, ce feuillage insensé

    autour de notre joue !

    *Louis *Lurine, habile à bien lancer les dards,

    en a les tempes bleues.

    *Asselineau pourrait fournir des étendards

    aux pachas à trois queues.

    *Méry, chêne au milieu d'arbustes rabougris,

    a vaincu les épreuves ;

    il est majestueux et fort sous son poil gris

    comme les dieux des fleuves.

    *Dumas qui pourrait seul, *Phébus éthiopien,

    chanter la sage *Hélène,

    abrite des éclairs son crâne olympien

    sous des touffes de laine ;

    *Mirecourt dans son ombre, antre de noirs projets,

    tente de noyer *Planche,

    et *René *Lordereau dans ses boucles de jais

    garde une mèche blanche.

    *Villemessant, mêlé, comme les vieux railleurs,

    de faune et de satyre,

    se coiffe en brosse. Et puis j'en passe, et des

    meilleurs !

    Mais qui pourrait tout dire ?

    *Théo, roi de l'azur où la muse le suit,

    amant de la chimère,

    en secouant sa tête, à l'entour fait la nuit,

    comme un héros d'*Homère,

    et *Barrière qui va cherchant la vérité

    sans songer à sa gloire,

    montre pleins d'ouragans des yeux d'aigle irrité

    sous une forêt noire.

    à côté d'eux on voit les blonds : c'est *Dumas fils,

    dont l'ample toison frise,

    c'est *Gaiffe, dont la joue est neige, ivoire et lys,

    et la lèvre cerise.

    C'est *Castille aux anneaux crêpés ; ses yeux ont lui

    pour quelque étrange rêve,

    et son chef lumineux brille comme celui

    de notre grand'mère *ève.

    *Voillemot resplendit comme un jeune *Apollon.

    Fabuleux météore,

    sa tête radieuse au milieu d'un salon

    fait l'effet d'une aurore.

    *Banville montre un front qui n'a rien de commun.

    à tort il l'accompagne

    de trois crins hérissés avec fureur, comme un

    savetier de campagne.

    *Arsène *Houssaye, à qui souvent, le coeur troublé,

    rêvent les jeunes filles,

    a des cheveux pareils à ceux des champs de blé

    tombant sous les faucilles.

    Ils sont d'or pâle ; ceux du poëte nouveau

    qui, dans des vers bizarres,

    a nommé le public :

    sont jaunes, fins et rares.

    La *Madelène est rose, et *Marchal est vermeil

    d'une façon hardie,

    mais *Nadar sur son front aux comètes pareil

    arbore l'incendie !

    mourir de la poitrine

    quand j'ai ces bras de lys,

    la lèvre purpurine,

    les cheveux de maïs

    et cette gorge rose,

    ah ! La vilaine chose !

    Quel poëte morose

    est donc ce *Dumas fils !

    Je fuis, pauvre colombe,

    le zéphyr accablant,

    je m'incline et je tombe

    comme un roseau tremblant,

    car, j'en ai fait le pacte,

    il faut qu'en femme exacte,

    au bout du cinquième acte

    j'expire en peignoir blanc !

    Pourtant, j'aime une vie

    qu'un immortel trésor

    poétise, ravie,

    dans un si beau décor ;

    j'aime pour mes extases

    les feux des chrysoprases,

    les rubis, les topazes,

    les tas d'argent et d'or !

    *Paris est une ville

    où mille voyageurs

    cherchent au vaudeville

    de pudiques rougeurs,

    où toute jeune fille

    aux façons de torpille

    peut avoir ce qui brille

    aux vitres des changeurs !

    J'aime cette lumière

    qui, des lustres fleuris,

    tombe aux soirs de première

    sur ma poudre de riz,

    quand, aux loges de face,

    ma petite grimace,

    malgré leur pose, efface

    cerisette et souris.

    J'aime qu'en ma fournaise

    un lingot fonde entier,

    et que, pour me rendre aise,

    avec un luxe altier

    qui ne soit pas un mythe,

    franchissant la limite,

    plus d'un caissier imite

    *Grellet et *Carpentier !

    J'aime que le vieux comte

    soit réduit aux abois

    en refaisant le compte

    des perles que je bois,

    enfin, cela m'allèche

    de sentir ma calèche

    voler comme une flèche

    par les détours du bois !

    J'aime que l'on me bouge

    un grand miroir princier,

    pour me poser ce rouge

    qui plaît à mon boursier,

    tandis que ma compagne,

    brune fille d'*Espagne,

    sur l'orgue m'accompagne

    des chansons de *Darcier !

    Mais surtout, quand, dès l'aube,

    s'éloigne mon sous-chef

    natif d'*Arcis sur *Aube,

    renvoyé d'un ton bref,

    dans ma main conquérante

    j'aime à tenir quarante

    nouveaux coupons de rente,

    et du papier *Joseph !

    *Rose pleurait : un bon jeune homme

    voulut la consoler un brin.

    - " ah ! De quelque nom qu'on vous nomme,

    dit-elle, vous allez voir comme

    j'ai raison d'avoir du chagrin !

    " pour *Meaux, ayant plié ma tente,

    en avril dernier je partis.

    J'allais hériter de ma tante,

    dont la dépouille aujourd'hui tente

    une foule de bons partis.

    " mais ce n'est pas dans la province

    que resplendit mon firmament :

    c'est ici que loge mon prince,

    l'homme pour qui mon coeur se pince,

    mon *Arthur, mon tout, mon amant !

    " loin de lui mon âme est funèbre ;

    à sa voix qui me fait rêver

    j'étais docile comme un zèbre !

    C'est un individu célèbre :

    où pourrai-je le retrouver ?

    " car en vain mon regard se dresse !

    Comme *Arthur ne m'a pas écrit,

    j'ignore en tout point son adresse.

    Comment donc faire avec adresse

    ce que mon désir me prescrit ?

    " ô tristesse ! Jusqu'à la lie

    je te savoure et je te bois.

    Sa rue, hélas ! Est démolie :

    je vois avec mélancolie

    que l'on y pose un mur de bois ! "

    " -ne pleurez pas, mademoiselle,

    dit le bon jeune homme éperdu

    à *Rose, en se penchant vers elle ;

    vous allez voir avec quel zèle

    nous chercherons l'*Arthur perdu !

    " puisqu'il s'agit d'un homme illustre,

    venez au bal de l'opéra.

    Vous le trouverez sous le lustre

    appuyé sur quelque balustre !

    Pour l'entrée, on vous la paiera. "

    les voici tous deux à la fête,

    dans cet endroit, prestigieux

    depuis les tapis jusqu'au faîte,

    où la réunion est faite

    de ce que *Paris a de mieux.

    Tout est couleur, lumière, flamme,

    et l'on s'étouffe à trépasser.

    Le bon jeune homme dit : -" madame,

    cherchez bien l'ami de votre âme

    parmi les gens qui vont passer !

    " a-t-il quelque prééminence

    sur l'élite de ces lions

    du report et de la finance,

    chez qui la moindre lieutenance

    vaut au moins quinze millions ?

    " voici le maître de *Marseille,

    *Lireux, *Solar grave et pensif,

    *Millaud, à qui *Phébus conseille

    la bienfaisance, et qui s'éveille

    dans une maison d'or massif !

    " puis voici la cohorte insigne

    des artistes, cerveaux en fleur ;

    *Hamon, gracieux comme un cygne,

    *Galimard qui cherche la ligne,

    *Préault, qui trouve la couleur !

    " puis *Masson, fort de ses magies,

    et *Couture, épris des hasards :

    tous deux à travers les orgies

    ont vu passer, de sang rougies,

    les ombres pâles des *Césars.

    " voici *Millet, voici *Christophe,

    et tous les fils de *Phidias,

    et *Chenavard, ce philosophe,

    aveuglé par un bout d'étoffe

    que chiffonne en causant *Diaz.

    " voici des acteurs, *Hyacinthe,

    *Fréderick, *Fechter ; admirons

    *Grassot, qu'on abreuve d'absinthe,

    et *Gueymard, qui dans cette enceinte

    assourdit la voix des clairons !

    " puis voici les porteurs de lyre,

    les meilleurs *Homères du jour,

    ceux que vers son calvaire attire

    encore le double martyre

    fait de poésie et d'amour !

    " voici *Musset, dieu de la ville,

    et *Dupont maître de son pré,

    et *Sainte-*Beuve et *Théophile,

    chanteur pour qui la muse file

    des jours tissus d'un fil pourpré.

    " voici *Bouilhet, que tu conseilles,

    naïade antique au front de lys,

    *Philoxène, amant de merveilles,

    qui, tout enfant, vit les abeilles

    baiser les lèvres de *Myrtis.

    " puis, dans ce torrent qui s'épanche,

    voici les frères *De *Goncourt ;

    *Mirecourt acharné sur *Planche,

    et *Monselet à la main blanche

    vers qui la renommée accourt.

    " orgueil des nouvelles déesses,

    voici les trois frères *Lévy,

    tous si ruisselants de richesses

    que les banquiers et les duchesses

    les accostent d'un air ravi.

    " connais-tu l'homme plein d'audace

    devant ces hardis triumvirs,

    qui les regarde face à face,

    et dont la jeune presse efface

    l'ancien blason des *Elzévirs ?

    " c'est un fils d'*Apollon et d'*ève,

    le typographe *Malassis,

    que tout bas invoque sans trêve

    le poëte inédit qui rêve,

    triste, et sur une malle assis.

    " voici *Vitu, chez qui s'allie

    à l'esprit, l'or d'un podesta ;

    *Fauchery, venu d'*Australie

    avec cette douce folie

    que de *Bohême il emporta ;

    " puis *Lherminier des *Amériques !

    *Murger, aux pompons éclatants,

    vide tous ses écrins féeriques.

    *Gozlan jure que les lyriques

    dureront au plus cinquante ans !

    " ô soeur de l'aube orientale,

    regardez bien tous ces héros !

    Car ils sont le luxe qu'étale

    notre immortelle capitale :

    après eux tout n'est que zéros. "

    il dit. La malheureuse fille,

    ignorante de son destin

    et rapide comme une anguille,

    vers le flot confus qui fourmille

    leva ses deux pieds de satin.

    Sa vue à travers une houle

    plongea dans les rangs espacés

    des gens fameux ; puis dans la foule

    elle tomba, lys que l'on foule ! ... -

    ces timbaliers étaient passés.

    " -mais, hasarda tout bas son guide

    alors qu'elle reprit ses sens,

    quel peut donc être, enfant candide,

    l'homme célèbre, mais perfide,

    qui n'est pas parmi ces passants ?

    " il n'est pas peintre ? C'est étrange.

    Alors, quel succès est le sien ?

    Il n'est donc pas, non plus, mon ange,

    poëte, ou bien agent de change ?

    Ni boursier ? Ni musicien ? "

    " -si, répondit-elle, il se pique

    d'être un merveilleux baryton,

    et, malgré son joli physique,

    il fait souvent de la musique

    avec son cornet à piston !

    " son bonnet brille comme un phare

    sur son costume officiel,

    lorsque, aux éclats de sa fanfare,

    le moineau franc tremble et s'effare

    et s'enfuit vers l'azur du ciel !

    " il aimait à faire tapage

    par les beaux jours pleins de rayons,

    assis en vêtement de page

    sur le sommet d'un équipage,

    derrière un marchand de crayons !

    " que de fois j'ai voulu les suivre,

    mêlant mon coeur à l'instrument

    qui répand les notes de cuivre,

    comme la gargouille et la guivre

    se mêlent au noir monument !

    " car leurs coussins étaient deux trônes,

    quand mon *Arthur sonnait du cor

    près de *Mangin en galons jaunes,

    qui sent des plumets de deux aunes

    frissonner sur son casque d'or ! "

    puisque, hormis *Couture,

    les professeurs

    qui font de la peinture

    sont des farceurs ;

    puisque ce dogmatiste

    mystérieux

    reste le seul artiste

    bien sérieux ;

    puisque seuls les gens pingres

    ont le dessein

    d'admirer encore *Ingres

    et son dessin ;

    puisque tout ce qui cause

    dit que la croix

    fut offerte sans cause

    à *Delacroix ;

    puisque toute la *Souabe

    sait que *Decamps

    n'a jamais vu d'arabe

    ni peint de camps ;

    puisque, même au bosphore,

    chacun saura

    que *Fromentin ignore

    le *Sahara ;

    puisque, sous les étoiles,

    l'univers n'est

    pas encombré des toiles

    que fait *Vernet ;

    puisque l'homme féroce

    nommé *Troyon

    ne connaît ni la brosse

    ni le crayon ;

    puisque dans nul ouvrage

    *Rosa *Bonheur

    ne rend le labourage

    avec bonheur ;

    puisqu'on doit sans alarme

    croiser le fer

    contre tous ceux que charme

    *Ary *Scheffer ;

    puisqu'en vain les osages,

    ont par lazzi

    loué les paysages

    de *Palizzi ;

    puisque, sans argutie,

    on peut nier

    l'exacte minutie

    de *Meissonier

    puisqu'à moins qu'on soit ivre

    de très-bon vin,

    on ne saurait pas vivre

    près d'un *Bonvin ;

    puisque l'on ne réserve

    ni *Daumier, ni

    l'étincelante verve

    de *Gavarni ;

    puisqu'il faut les astuces

    d'un *Esclavon

    pour célébrer les russes

    d'*Adolphe *Yvon ;

    foin des gens qui travaillent

    pour nous berner !

    Que tous les peintres aillent

    se promener !

    Puisque seul il s'excepte

    avec grand sens,

    ah ! Que *Couture accepte

    tout notre encens !

    Que lui seul soit *Apelle !

    Que *Camoëns

    ressuscité l'appelle

    aussi *Rubens !

    Qu'il parle à ses apôtres !

    En iroquois !

    On ira dire aux autres

    de rester cois !

    Pose ton manteau sombre

    sur ce qu'ils font ;

    couvre-les de ton ombre,

    oubli profond !

    Et poursuis comme *Oreste,

    fatalité,

    ce choeur dont rien ne reste,

    *Couture ôté !

    ce critique célèbre est mort en mal d'enfant.

    Quel critique ! Il était fort comme un éléphant,

    vif et souple comme une anguille.

    S'il étirait un peu ses membres avec soin

    il enjambait la mer, et savait au besoin

    passer par le trou d'une aiguille.

    Au spectacle c'était charmant. Comme il jasait !

    pour lui ne gardaient pas d'arcanes.

    Quant à ce qu'on appelle en ce temps-ci :

    il en laissait toujours au milieu des marmots

    sept ou huit au bureau des cannes.

    Il avait de l'esprit comme *Jules *Janin

    et comme *Beaumarchais ; le sourcil léonin

    de ce *Jupiter de la rampe

    faisait tout tressaillir, *Achilles, arlequins

    et gilles ; devant lui ces porte-brodequins

    étaient comme le ver qui rampe.

    Ce n'était qu'or et pourpre à tous ses dévidoirs.

    Des myrtes qu'il avait cueillis dans les boudoirs

    on eût chargé vingt dromadaires,

    et certe, il s'en fallait peu qu'il ne mît à bas

    et même

    par ses succès hebdomadaires.

    On disait : " *Prémaray, ce divin bijoutier,

    a pourtant le ciseau moins agile, et *Gautier

    la touche moins fine et moins grasse ;

    *Saint-*Victor et *Méry, coloristes vermeils,

    ne peignent pas si bien les cheveux des soleils :

    *Janin lui-même a moins de grâce. "

    il n'était pas heureux pourtant. Devant son feu

    où parfois en silence il voyait d'un oeil bleu

    mourir en cendre un demi-stère,

    des spectres noirs, sortis du fond de l'encrier,

    le talonnaient. C'est bien le cas de s'écrier

    ici : " quel est donc ce mystère ? "

    ou bien il était triste en même temps que gai,

    mêlant

    avec

    telle en ces paysages qu'orne

    une blanche fontaine aux paillettes d'argent,

    la lune astre des nuits, folâtre mais changeant,

    montre ensemble et cache une corne.

    Tel vous pouvez le voir gravé par *Henriquel ;

    et voici le fin mot : le malheur pour lequel,

    poussant des plaintes étouffées,

    il laissait tant languir son âme en désarroi,

    c'était de n'avoir pas d'enfants, comme ce roi

    qu'on voit dans les contes de fées.

    Parfois contemplant seul, le front chargé d'ennuis,

    les clous de diamants sur le plafond des nuits,

    il invoquait les muses, l'une

    ou l'autre, et leur disait : " *érato, mon trésor !

    *Thalie ! ô *Melpomène à la chaussure d'or ! "

    il disait à la lune : " ô lune ! "

    " ne m'inspirerez-vous aucun ouvrage ? Rien ?

    Quoi ! Pas même un nouveau système aérien ?

    Un livre sur l'architecture ?

    Un vaudeville, grand de toute ma hauteur ?

    Ne deviendrai-je point ce qu'on nomme un auteur

    dans les cabinets de lecture ?

    " oui, la gloire est à moi, j'ai su m'en emparer,

    et, ne produisant rien, je puis me comparer

    aux filles qu'on marie honnêtes ;

    je reste magnifique autant que paresseux,

    oui, mais ne pouvoir être à mon tour un de ceux

    qui montrent les marionnettes !

    " ni ce *Lesage, hélas ! Ni cet abbé *Prévost !

    Ni ce vieux *Poquelin sur qui rien ne prévaut !

    Ni ce *Ronsard, ni ce *Malherbe !

    Danser toujours, pareil à *Madame *Saqui !

    Sachez-le donc, ô lune, ô muses, c'est ça qui

    me fait verdir comme de l'herbe !

    " oh ! Que ne puis-je, enflant cette bouche, hardi,

    hurler ces drames noirs que signe *Bouchardy,

    ou bien par un grand élan d'aile,

    faire enfin, n'étant plus un eunuque au sérail,

    des romans comme ceux de *Ponson *Du *Terrail

    ou du ténébreux *La *Landelle ! "

    il le faut, tôt ou tard un dénoûment a lieu.

    Or, la nymphe d'une eau thermale, ou quelque dieu

    mettant le nez à la fenêtre,

    voulut prendre en pitié l'illustre paria.

    Notre homme devint gros, et chacun s'écria :

    " quelque chose de fort va naître. "

    lui se tordait avec mille contorsions

    de gésine. ébloui par les proportions

    énormes de sa masse abrupte,

    le prenant pour un mont, *Préault disait : " oh ! ça

    c'est *Pélion, ou bien son camarade *Ossa :

    allez-vous-en, que je le sculpte ! "

    et l'attente dura dix ans. Les médisants,

    comme un choeur de vieillards, répétèrent dix ans

    à la foule, en s'approchant d'elle :

    " tu prépares ton clair lorgnon, mais vainement.

    Va plutôt voir guignol que cet événement :

    le jeu n'en vaut pas la chandelle ! "

    enfin, pour accoucher le moderne *Pança,

    on prit tout bonnement une épingle : on pensa

    le vider comme un oeuf d'autruche.

    Il ne sortit pas même, ô rage ! Une souris

    de ce ventre dont l'orbe excita nos souris :

    le critique était en baudruche !

  10. RONDEAUX

    que l'aurore ait à son corsage

    cent mille fleurs pour entourage

    et teigne de rose le ciel,

    *Rolle dort comme un immortel,

    sans s'inquiéter davantage.

    Mais que, sur sa lointaine plage,

    l'odéon donne un grand ouvrage,

    *Rolle s'y rend, plus solennel

    que l'aurore.

    Ce facétieux personnage,

    dont, par un heureux assemblage,

    le patois traditionnel

    plaît au

    aime mieux voir lever bocage

    que l'aurore.

    *Page blanche, allons, étincèle !

    Car, ce rondeau, je le cisèle

    pour la reine de la chanson,

    qui rit du céleste enfançon

    et doucement vous le musèle.

    Zéphire l'évente avec zèle,

    et, pour ne pas vivre sans elle,

    titania donnerait son

    page.

    Le bataillon de la *Moselle

    à sa démarche de gazelle

    eût tout entier payé rançon.

    Cette reine sans écusson,

    c'est *Cypris, ou *Mademoiselle

    *Page.

    où sait-on mieux s'égarer deux, parmi

    les myrtes verts, qu'aux rives de la *Seine ?

    Séduit un jour par l'enfant ennemi,

    *Arsène, hélas ! Pour lui quitta la saine

    littérature, et l'art en a gémi.

    Trop attiré par les jeux de la scène,

    il soupira pour les yeux de *Climène,

    comme un tircis en veste de *Lami-*Housset.

    Oh ! Que de fois, oeil morne et front blêmi,

    il cherche, auprès de la claire fontaine,

    sous quels buissons amour s'est endormi !

    Houlette en main, souriante à demi,

    plus d'une encor fait voir au blond *Arsène

    où c'est.

    quel air limpide et quel rayon de flamme

    a fait ce corps plus beau qu'une belle âme !

    Plus patient que les doigts du sommeil,

    quel blond génie avec son doigt vermeil

    de cette neige a su faire une trame ?

    Ses dents pourraient couper comme une lame

    les dents du tigre et de l'hippopotame,

    et son col fier à des lys est pareil.

    Quel air !

    *Ovide seul, dans un épithalame,

    eût pu monter la timide réclame

    à la hauteur de ce corps de soleil ;

    *Junon, *Pallas, *Vénus au bel orteil,

    même *Betti, le cèdent à *Madame

    *Keller.

    lyre d'argent, gagne-pain trop précaire,

    dont les chansons n'ont qu'un maigre salaire,

    je vous renie et je vous dis adieu.

    Mieux vaut cent fois jeter nos vers au feu

    et fuir bien loin ce métier de galère.

    En vain, ma lyre, à tous vous saviez plaire ;

    vous déplaisez à ce folliculaire

    de qui s'enflamme et gronde pour un jeu

    l'ire.

    Vous n'avez pas, hélas ! De caudataire.

    Vous n'enseignez au fond d'aucune chaire

    le japonais, le sanscrit et l'hébreu.

    Cédez, ma mie, à ce critique en feu

    dont les arrêts ne peuvent pas se faire

    lire.

    rondeau charmant, où ma rime dorée

    vient célébrer une femme adorée,

    dis ses attraits dont s'affole chacun,

    et ses cheveux pleins d'un si doux parfum,

    qu'eût enviés la *Grèce au temps de *Rhée.

    Dis les amours qui forment sa chambrée ;

    et dis surtout à notre muse ambrée

    que son éloge aurait mieux valu qu'un

    rondeau !

    Dis qu'en son nid, si cher à *Cythérée,

    notre misère est souvent préférée

    au sac d'écus d'un mondor importun,

    et que toujours, pour le poëte à jeun

    s'ouvrent les bras charmants de *Désirée

    *Rondeau.

  11. TRIOLETS

    *Ducuing, cet ami de *Ponsard,

    a bien dit son fait à *Shakespere.

    Ils étaient, avec le soudard

    *Ducuing, sept amis de *Ponsard :

    ils ont pris *Shakespere à l'écart,

    et sous leurs coups *Shakespere expire.

    *Ducuing, cet ami de *Ponsard,

    a bien dit son fait à *Shakespere.

    *Néraut, *Tassin et *Grédelu

    sont l'espoir de l'art dramatique.

    *Roscius n'a jamais valu

    *Néraut, *Tassin et *Grédelu.

    *Grédelu serait mon élu

    pour jouer un roi fantastique.

    *Néraut, *Tassin et *Grédelu

    sont l'espoir de l'art dramatique.

    le grand mérite de *Néraut

    lui vaut un renom légitime.

    La critique fait sonner haut

    le grand mérite de *Néraut.

    à *Nérac, *Néraut, en héraut,

    obtiendrait un succès d'estime.

    Le grand mérite de *Néraut

    lui vaut un renom légitime.

    le beau *Tassin, en matassin,

    n'est pas de ceux dont on se fiche.

    On n'habille pas sans dessein

    le beau *Tassin en matassin

    on eut pris pour un faon, *Tassin

    quand il figurait dans

    le beau *Tassin, en matassin,

    n'est pas de ceux dont on se fiche.

    *Mademoiselle *Michonnet

    est une actrice folichonne.

    Autrefois chacun bichonnait

    *Mademoiselle *Michonnet.

    Le public, qui la bouchonnait,

    dans ses dents aujourd'hui mâchonne.

    *Mademoiselle *Michonnet

    est une actrice folichonne.

    voulez-vous des jeux et des ris ?

    On en tient chez *Monsieur *Guillaume.

    Il fabrique rats et souris.

    Voulez-vous des jeux et des ris ?

    Il fournit le bal de *Paris,

    le château-rouge et l'hippodrome.

    Voulez-vous des jeux et des ris ?

    On en tient chez *Monsieur *Guillaume.

    *Pilou veut prendre *Abd-*El-*Kader :

    à ce plan le public adhère.

    Dans tout ce que l'*Afrique a d'air,

    *Pilou veut prendre *Abd-*El-*Kader.

    Il voudrait le barricader,

    et que cet aigle manquât d'aire !

    *Pilou veut prendre *Abd-*El-*Kader,

    à ce plan le public adhère.

    le jeune *Paulin *Limayrac

    est âgé de huit ans à peine.

    Il est englouti dans son frac,

    le jeune *Paulin *Limayrac.

    Il a beau boire de l'arack

    et prendre une mine hautaine,

    le jeune *Paulin *Limayrac

    est âgé de huit ans à peine.

    cette malle doit être à nous,

    car c'est la malle de *Voltaire.

    Mettons-la sans dessus dessous :

    cette malle doit être à nous !

    *Voltaire a légué ses bijoux

    à *Lhomond, par-devant notaire.

    Cette malle doit être à nous,

    car c'est la malle de *Voltaire.

    as-tu lu *Voltaire ? Non pas ;

    jamais, jamais, pas même en rêve.

    Allons, dis si tu nous trompas :

    as-tu lu *Voltaire ? Non pas.

    Il suffit : je vais de ce pas

    t'annoncer comme son élève !

    As-tu lu *Voltaire ? Non pas.

    Jamais, jamais, pas même en rêve.

    la gaîté d'un turc en exil

    rit dans la prose de *Suttières.

    Je sais qu'on lui trouve au *Brésil

    la gaîté d'un turc en exil.

    Que de papiers ! Que de sacs ! Il

    en a jusqu'aux jarretières !

    La gaîté d'un turc en exil

    rit dans la prose de *Suttières.

    non, *Homais ne mourra jamais !

    Il revient en croquemitaine.

    Ce faux *Arouet, c'est *Homais :

    non, *Homais ne mourra jamais.

    Il prend peu de mitaines ; mais

    on dit qu'il a pour ami *Taine.

    Non, *Homais ne mourra jamais !

    Il revient en croquemitaine.

    connaissez-vous *Monsieur *Jaspin

    de

    il a la barbe d'un rapin,

    connaissez-vous *Monsieur *Jaspin ?

    Chevelu comme un vieux sapin,

    il aime la brune et la chope.

    Connaissez-vous *Monsieur *Jaspin

    de l'

    il sait hurler avec les loups

    à l'

    son esprit pique ainsi qu'un houx,

    il sait hurler avec les loups.

    L'ivoire en ses longs cheveux roux

    fait un labeur de *Pénélope.

    Il sait hurler avec les loups

    à l'

    ce fameux divan est un van

    où l'on vanne l'esprit moderne.

    Plus absolutiste qu'*Yvan,

    ce fameux divan est un van.

    Des farceurs venus du *Morvan

    y terrassent l'hydre de *Lerne.

    Ce fameux divan est un van

    où l'on vanne l'esprit moderne.

    Là, *Guichardet, pareil aux dieux,

    montre son nez vermeil et digne.

    Ici d'affreux petits *Mayeux,

    là, *Guichardet, pareil aux dieux.

    *Mürger prodigue aux curieux

    de l'esprit à cent sous la ligne.

    Là, *Guichardet, pareil aux dieux,

    montre son nez vermeil et digne.

    On voit le doux *Asselineau

    près du farouche *Baudelaire.

    Comme un moscovite en traîneau,

    on voit le doux *Asselineau.

    Plus aigre qu'un jeune cerneau,

    l'autre est comme un *Goethe en colère.

    On voit le doux *Asselineau

    près du farouche *Baudelaire.

    On y rencontre aussi *Babou

    qui de ce lieu fait sa capoue.

    Avec sa plume pour bambou

    on y rencontre aussi *Babou.

    à sa gauche, un topinambou

    trousse une ode topinamboue.

    On y rencontre aussi *Babou

    qui de ce lieu fait sa capoue.

    Près de l'harmonieux *Stadler

    flamboie encor *La *Madelène.

    *Emmanuel regarde en l'air,

    près de l'harmonieux *Stadler.

    *Voillemot voit dans un éclair

    passer la fantôme d'*Hélène.

    Près de l'harmonieux *Stadler

    flamboie encor *La *Madelène.

    Le divan près de l'opéra

    est un orchestre de voix fausses.

    On ne sait quel mage opéra

    le divan près de l'opéra.

    Ces immortels morts, on paiera

    pour contempler encor leurs fosses.

    Le divan près de l'opéra

    est un orchestre de voix fausses.

  12. à 1 AMI POUR PRIX TRAV. LITTéR.

    mon ami, n'allez pas surtout vous soucier

    de la lettre qu'on vous apporte ;

    ce n'est qu'une facture, et c'est un créancier

    qui vient de sonner à la porte.

    Parcourant sans repos, dernier des voyageurs,

    les hélicons et les permesses,

    pour payer mes wagons, j'ai dû chez les changeurs

    escompter l'or de vos promesses.

    Vérité sans envers, que l'on nierait en vain,

    car elle est des plus apparentes,

    l'artiste ne peut guère, avec son luth divin,

    réaliser assez de rentes.

    Ainsi que la marmotte, il se sent mal au doigt

    à force de porter sa chaîne :

    toujours il a mangé le matin ce qu'il doit

    toucher la semaine prochaine.

    à moins qu'il soit chasseur de dots, et fait au tour,

    dieu sait quelle intrigue il étale

    pour ne pas déjeuner, plus souvent qu'à son tour,

    au restaurant de feu *Tantale !

    Moi qui n'ai pas les traits de *Bacchus, je ne puis

    compter sur ma beauté physique.

    Je suis comme la nymphe auguste dans son puits :

    je n'ai que ma boîte à musique !

    Ainsi, j'ai beau nommer l'amour

    être un saint-*George à nos escrimes,

    et faire encor pâlir le luxe de *Rothschild

    par la richesse de mes rimes,

    je ne saurais avec tous ces vers, que paiera

    *Buloz, s'il survit aux bagarres,

    d'avance entretenir des filles d'opéra,

    ni même acheter des cigares.

    Oui, moi que l'univers prendrait pour un richard,

    tant je prodigue les tons roses,

    je suis, pour parler net, semblable à cabochard :

    je manque de diverses choses.

    Le cabaret prétend que crédit est noyé,

    et, si ce n'est chez les osages,

    je m'aperçois enfin que l'argent monnoyé

    s'applique à différents usages.

    Je sais bien que toujours les cygnes aux doux chants,

    près des lédas archiduchesses,

    ont fait de jolis mots sur les filles des champs

    et sur le mépris des richesses ;

    *Monsieur *Scribe lui-même enseigne qu'un trésor

    cause mille angoisses amères ;

    mais je suis intrépide : envoyez-moi de l'or,

    je n'ai souci que des chimères !

  13. VILLANELLE DE BULOZ

    j'ai perdu mon *Limayrac :

    ce coup-là me bouleverse.

    Je veux me vêtir d'un sac.

    Il va mener, en cornac,

    la

    j'ai perdu mon *Limayrac.

    Mon *Limayrac sur *Balzac

    savait seul pleuvoir à verse.

    Je veux me vêtir d'un sac.

    Pour ses bons d'almanach

    on tombait à la renverse.

    J'ai perdu mon *Limayrac.

    Sans son habile mic-mac

    *Sainte-*Beuve tergiverse.

    Je veux me vêtir d'un sac.

    Il a pris son havresac,

    et j'ai pris la fièvre tierce.

    J'ai perdu mon *Limayrac.

    à fumer, sans nul tabac !

    Depuis ce jour je m'exerce.

    Je veux me vêtir d'un sac.

    Pleurons, et vous de cognac

    mettez une pièce en perce !

    J'ai perdu mon *Limayrac,

    je veux me vêtir d'un sac !

  14. ÉCRIT SUR 1 EXEMPLAIRE ODELETTES

    quand j'ai fait ceci,

    moi que nul souci

    ne ronge,

    la fièvre de l'or

    nous tenait encor :

    j'y songe !

    Pendant ces moments,

    comme les romans

    que fonde

    le joyeux *About,

    elle avait pris tout

    le monde !

    Vous rappelez-vous

    les efforts jaloux,

    les brigues,

    les peurs, les succès ?

    Le combat eut ses

    *Rodrigues !

    Oh ! Qu'il fut ardent,

    hélas ! Moi pendant

    la lutte

    et son bruit d'enfer,

    j'essayais un air

    de flûte !

  15. VILLANELLE DES PAUVRES HOUSSEURS

    un tout petit pamphlétaire

    voudrait se tenir debout

    sur le fauteuil de *Voltaire.

    Je vois sous ce mousquetaire

    dont le manteau se découd,

    un tout petit pamphlétaire.

    Renvoyez au *Finistère

    le grain frelaté qu'il moud

    sur le fauteuil de *Voltaire.

    Il sera le caudataire

    du fameux *Taine, et, par goût,

    un tout petit pamphlétaire.

    Prud'homme universitaire,

    il a l'air d'un marabout

    sur le fauteuil de *Voltaire.

    Tirez, tirez-le par terre,

    car il a... pleuré partout

    sur le fauteuil de *Voltaire.

    Ah ! Le mauvais locataire !

    Bah ! L'on raille et l'on absout

    un tout petit pamphlétaire.

    Bornons là ce commentaire ;

    mais il a manqué... de tout

    sur le fauteuil de *Voltaire.

    Le célèbre phalanstère

    nous a donné pour ragoût

    un tout petit pamphlétaire.

    Mons purgon, vite un clystère !

    Le pauvre homme écume et bout

    sur le fauteuil de *Voltaire.

    Qui veut, dans son monastère,

    jeter *Pindare à l'égout ?

    Un tout petit pamphlétaire.

    De *Ferney jusqu'à *Cythère,

    on rit de voir jusqu'au bout

    un tout petit pamphlétaire

    sur le fauteuil de *Voltaire.

  16. CHANSON SUR L'AIR DES LANDRIRY

    voici l'automne revenu.

    Nos anges, sur un air connu,

    landrirette,

    arrivent toutes à *Paris,

    landriry.

    Ces dames, au retour des champs,

    auront les yeux clairs et méchants

    landrirette,

    le sein rose et le teint fleuri,

    landriry.

    Mais celles qui n'ont pas quitté

    la capitale pour l'été,

    landrirette,

    ont l'air bien triste et bien marri,

    landriry.

    Nos aspasie et nos sontag

    se promènent au ranelagh

    landrirette,

    tristes comme un bonnet de nuit,

    landriry.

    Elles ont vu fort tristement

    la clôture du parlement,

    landrirette,

    leurs roses tournent en soucis,

    landriry.

    Il est temps que plus d'un banquier

    quitte *Le *Havre ou *Villequier,

    landrirette,

    car notre pactole est tari,

    landriry.

    Frison, naïs et brancador

    ont engagé leurs colliers d'or,

    landrirette,

    et souris n'a plus de mari,

    landriry.

    Mais voici le temps des moineaux ;

    les vacances des tribunaux

    landrirette,

    vont ramener l'argent ici,

    landriry.

    Car déjà, sur le boulevard,

    on voit des habits de *Stuttgard

    landrirette,

    et des vestes de *Clamecy,

    landriry.

    Tout cela vient avec l'espoir

    d'aller à mabille, et de voir

    landrirette,

    page et *Mademoiselle *Ozy,

    landriry.

    Le matin, avec bonne foi,

    ils tombent au café de foy,

    landrirette,

    pour lire

    landriry.

    Puis ils s'en vont, à leur grand dam,

    acquérir sur la foi de *Cham,

    landrirette,

    des jaquettes gris de souris,

    landriry.

    Un moulinois de mes cousins

    contemple tous les magasins,

    landrirette,

    avec un sourire ébahi,

    landriry.

    Et déjà, ce nouvel *Hassan

    guigne un cachemire

    landrirette,

    c'est pour charmer quelque péri,

    landriry.

    Il ira ce soir à *Feydeau.

    Avant le lever du rideau,

    landrirette,

    il s'écriera : " c'est du *Grétry,

    landriry ! "

    courage amours, souvent frôlés !

    Demain les bijoux contrôlés

    landrirette,

    se placeront à juste prix,

    landriry.

    Bon appétit, jeunes beautés,

    qu'adorent les prêtres bottés

    landrirette,

    de cypris et de brididi,

    landriry.

    Vous allez guérir derechef

    par l'or et le papier joseph,

    landrirette,

    vos roses et vos lys flétris,

    landriry.

    Si vous savez d'un air vainqueur

    mettre sur votre bouche en coeur

    landrirette,

    les jeux, les ris et les souris,

    landriry.

    Si vous savez, à chaque pas,

    murmurer : " je ne polke pas,

    landrirette, "

    vous allez gagner vos paris,

    landriry.

    Vous allez avoir des pompons,

    des fleurettes et des jupons

    landrirette,

    comme en portait la *Dubarry,

    landriry.

    Vous aurez, comme en un sérail,

    plus de perles et de corail,

    landrirette,

    qu'un marchand de *Pondichéry,

    landriry.

    Plus d'étoiles en diamant

    qu'il ne s'en trouve au firmament

    landrirette,

    ou dans un roman de *Méry,

    landriry.

    Et cet hiver à l'opéra,

    où quelque *Amadis vous paiera,

    landrirette,

    vous poserez pour *Gavarni,

    landriry.

  17. BALLADE CéLéBRITéS TEMPS JADIS

    dites-moi sur quel *Sinaï

    ou dans quelle manufacture

    est le critique *Dufaï ?

    Où ? Sur quelle maculature

    *Lalanne met-il sa rature ?

    Où sont les plâtres de *Dantan,

    et

    mais où sont les neiges d'antan ?

    Où *Venet, par le sort trahi,

    a-t-il trouvé sa sépulture ?

    *Mirecourt s'est-il fait spahi ?

    *Mantz a-t-il une préfecture ?

    Où sont les habits sans couture,

    et *Malitourne et *Pelletan ?

    Où sont *Clesinger et *Couture ?

    Où sont *Rolle des dieux haï,

    *Bataille, plus beau que nature,

    *Cochinat, qui fut envahi

    tout vif, par la même teinture

    que jadis *Toussaint-*Louverture,

    et ce *Rhéal qui mit *Dante en

    français de maître d'écriture ?

    ami, quelle déconfiture !

    Tout s'en va, marchands d'orviétan

    et marchands de littérature :

    mais où sont les neiges d'antan ?

  18. VIRELAI à MES éDITEURS

    barbanchu nargue la rime !

    Je défends que l'on m'imprime !

    La gloire n'était que frime ;

    vainement pour elle on trime,

    car ce point est résolu.

    Il faut bien qu'on nous supprime :

    barbanchu nargue la rime !

    Le cas enfin s'envenime.

    Le prosateur chevelu

    trop longtemps fut magnanime.

    Contre la lyre il s'anime,

    et traite d'hurluberlu

    ou d'un terme synonyme

    quiconque ne l'a pas lu.

    Je défends que l'on m'imprime.

    Fou, tremble qu'on ne t'abîme !

    Rimer, ce temps révolu,

    c'est courir vers un abîme,

    barbanchu nargue la rime !

    Tu ne vaux plus un décime !

    Car l'ennemi nous décime,

    sur nous pose un doigt velu,

    et, dans son chenil intime,

    rit en vrai patte-pelu

    de nous voir pris à sa glu.

    Malgré le monde unanime,

    tout prodige est superflu.

    Le vulgaire dissolu

    tient les mètres en estime :

    il y mord en vrai goulu !

    Bah ! Pour mériter la prime,

    tu lui diras : lanturlu !

    Je défends que l'on m'imprime.

    *Molière au hasard s'escrime,

    c'est un bouffon qui se grime ;

    *Dante vieilli se périme,

    et *Shakspere nous opprime !

    Que leur art jadis ait plu,

    sur la récolte il a plu,

    et la foudre pour victime

    choisit leur toit vermoulu.

    C'était un régal minime

    que *Juliette ou *Monime !

    Descends de ta double cime,

    et, sous quelque pseudonyme,

    fabrique une pantomime ;

    il le faut, il l'a fallu.

    Mais plus de retour sublime

    vers *Corinthe ou vers *Solyme !

    Ciseleur, brise ta lime,

    barbanchu nargue la rime !

    Seul un réaliste exprime

    le beau rêche et mamelu :

    en douter serait un crime.

    Barbanchu nargue la rime !

    Je défends que l'on m'imprime.

  19. BALLADE DES TRAVERS DE CE TEMPS

    prudhomme, fier de montrer son bon goût,

    quand il écrit des lettres, les cachète

    d'un casque d'or ou flotte un marabout ;

    *Camellia prend des airs de *Nichette,

    et le docteur arbore une brochette.

    Dès l'an passé, *Montjoye eut ce travers

    d'aller au bal en bottes à revers ;

    sur votre front *Courbet met des verrues,

    nymphe aux yeux d'or, sirène aux cheveux verts ;

    voici le temps pour les coquecigrues.

    Anges bouffis et vermeils, que partout

    l'humble passant peut appeler : " bichette, "

    dès que plutus dresse quelque ragoût,

    cent dalilas apportent leur fourchette.

    Amour les guide au bruit de sa pochette.

    Par le marteau forgé tout de travers,

    c'est un jupon d'acier qui sert d'envers

    aux fiers appas de ces femmes ventrues,

    et ce rempart terrasse les pervers :

    voici le temps pour les coquecigrues.

    On n'a plus d'or que pour *Edmond *About

    au

    ainsi que chez *Hachette ;

    c'est pour lui seul que la marmite bout

    chez *Désiré comme au café vachette ;

    c'est lui qu'on prise et c'est lui qu'on achète.

    Pourtant *Venet écrit à

    *Machin (du *Tarn) dans des recueils divers

    offre au public des lignes incongrues,

    et *Champfleury veut supprimer les vers :

    voici le temps pour les coquecigrues.

    mon cher *François, vers la *Touraine et vers

    vos lys, mes chants volent aux bosquets verts.

    Je sais qu'ils ont des rimes un peu crues :

    c'est que depuis ces dix ou douze hivers,

    voici le temps pour les coquecigrues.

  20. MONSIEUR COQUARDEAU, CHANT ROYAL

    roi des crétins, qu'avec terreur on nomme,

    grand *Coquardeau, non, tu ne mourras pas.

    Lépidoptère en habit de prudhomme,

    ta majesté t'affranchit du trépas,

    car tu naquis aux premiers jours du monde,

    avant les cieux et les terres et l'onde.

    Quand le métal entrait en fusion,

    *Titan, instruit par une vision

    que son travail durerait la semaine,

    fondit d'abord, et par provision,

    le front serein de la bêtise humaine.

    On t'a connu dans *Athène et dans *Rome :

    plus tard *Colomb t'a vu sous les pampas.

    Mais sur tes yeux de vautour économe

    se courbait l'arc d'un sourcil plein d'appas,

    et le sommet de ta tête profonde

    a resplendi sous la crinière blonde.

    Que *Gavarni tourne en dérision

    tes six cheveux ! Avec décision

    le démêloir en toupet les ramène :

    un dieu scalpa, comme l'occasion,

    le front serein de la bêtise humaine.

    Tu te rêvais député de la *Somme

    dans les discours que tu développas,

    et, beau parleur grâce à ton majordome,

    on te voit fier de tes quatre repas.

    Lorsqu'en s'ouvrant ta bouche rubiconde

    verse au hasard les trésors de *Golconde,

    on cause bas, à ton exclusion,

    ou chacun rêve à son évasion.

    Tu n'as jamais connu ce phénomène :

    mais l'ouvrier doubla l'illusion

    le front serein de la bêtise humaine.

    Comme *Pâris, tu tiens toujours la pomme.

    Dans ton salon, meublé d'un fier lampas,

    on boit du lait et du sirop de gomme,

    et tu n'y peux, selon toi, faire un pas

    sans qu'à ta flamme une flamme réponde.

    Dans tes miroirs tu te vois en *Joconde.

    Jamais pourtant, coeur plein d'effusion,

    tu n'oublias ta chère infusion

    pour les rigueurs d'*Iris ou de *Climène.

    L'espoir fleurit avec profusion

    le front serein de la bêtise humaine.

    à ton café, tu te dis brave comme

    un perceval, et toi-même écharpas

    le rude *Arpin ; ta chiquenaude assomme.

    Lorsque tu vas, les jambes en compas,

    on croirait voir un héros de la fronde,

    ou quelque preux, vainqueur de *Trébizonde.

    Mais, évitant, avec précision

    l'éclat fatal d'une collision,

    tu vis dodu comme un chapon du *Maine,

    pour sauver mieux de toute lésion

    le front serein de la bêtise humaine.

    prince des sots, un système qu'on fonde,

    à son aurore a soif de ta faconde.

    Toi, tu vivais dans la prévision

    et dans l'espoir de cette invasion :

    le réalisme est ton meilleur domaine,

    car il charma dès son éclosion

    le front serein de la bêtise humaine.

  21. MONSELET D'AUTOMNE, PANTOUM

    l'automne est doux ; adieu, libraires !

    L'oiseau chante dans le sillon.

    *Monselet dit à ses confrères :

    " êtes-vous or pur ou billon ? "

    l'oiseau chante dans le sillon,

    le ciel dans les vapeurs s'allume.

    " êtes-vous or pur ou billon ?

    Répondez, soldats de la plume. "

    le ciel dans les vapeurs s'allume :

    ma mie, il faut aller au bois.

    " répondez, soldats de la plume,

    ne parlez pas tous à la fois. "

    ma mie, il faut aller au bois,

    là-bas où la brise soupire.

    " ne parlez pas tous à la fois :

    lequel de vous est un *Shakspere ? "

    là-bas où la brise soupire,

    il fait bon pour les coeurs souffrants :

    " lequel de vous est un *Shakspere ?

    Lequel est *Balzac ? Soyez francs. "

    il fait bon pour les coeurs souffrants :

    sur la mousse je veux qu'on m'aime.

    " lequel est *Balzac ? Soyez francs.

    -*Balzac ? Dit chacun, c'est moi-même. "

    sur la mousse je veux qu'on m'aime,

    de la seule étoile aperçu.

    -" *Balzac ? Dit chacun, c'est moi-même. "

    *Monselet rit comme un bossu.

    De la seule étoile aperçu,

    qu'un baiser de feu me dévore !

    *Monselet rit comme un bossu.

    Bon biographe, ris encore !

    Qu'un baiser de feu me dévore !

    Hélas ! Le bonheur est si court !

    Bon biographe, ris encore,

    on n'entendra plus *Mirecourt.

    Hélas ! Le bonheur est si court !

    ô désirs vains et téméraires !

    On n'entendra plus *Mirecourt,

    l'automne est doux : adieu, libraires !

  22. RÉALISME

    grâces, ô vous que suit des yeux dans la nuit brune

    le pâtre qui vous voit, par les rayons de lune,

    bondir sur le tapis folâtre des gazons,

    dans votre vêtement de toutes les saisons !

    Et toi qui fais pâmer les fleurs quand tu respires,

    fleur de neige, ô *Cypris ! Toi, mère des sourires,

    dont le costume entier, même après fructidor,

    se compose de lys avec des frisons d'or !

    Et toi, rouge *Phébus, dieu ! Lumière ! épouvante !

    Toi que *Délos révère et que *Ténédos vante,

    toi qui, dans ta fureur, lances au loin des traits

    et qu'à présent on force à faire des portraits,

    partisan des linons et des minces barèges,

    patron des fabricans d'ombrelles, qui protèges

    *Chryse, et qui ceins de feux la divine *Cilla,

    regardez ce que font ces imbéciles-là !

    Regardez ces farceurs en costume sylvestre !

    Ils agitent leurs bras comme des chefs d'orchestre ;

    il se sont tous grisés de bière chez *Andler,

    et les voici qui vont graves, les yeux en l'air,

    rouges pourpre, dirait *Mathieu, quant au visage,

    et curieux de voir un bout de paysage.

    Ils plantent en cerceaux des manches à balais,

    et se disent : " voilà des arbres, touchez-les ! "

    sur le bord d'un trottoir ils vident leur cuvette

    en s'écriant : " la mer ! Je vois une corvette ! "

    un singe passe au dos d'un petit savoyard,

    ils murmurent : " amis, saluons ce boyard ! "

    embusqués en troupeaux à l'angle de trois rues,

    sur les fronts des passants ils collent des verrues,

    puis, abordant leur homme avec un air poli :

    " monsieur, demandent-ils, ce nez est-il joli ?

    Vous aimez les nez grecs, c'est là ce qui vous trompe !

    Oh ! Laissez-moi vous coudre à la place une trompe ! "

    celui-ci, rencontrant *Marinette ou *Marton,

    lui met sur le visage un masque de carton ;

    celui-là vous arrête et vous souffle la panse,

    et répète : " le beau n'est pas ce que l'on pense ! "

    bientôt, grâce à leurs soins d'artistes, autour d'eux

    la foule a pris l'aspect d'un cauchemar hideux :

    ce ne sont qu'oriflans, caprilmuges, squelettes,

    stryges entrechoquant leurs gueules violettes,

    mandragores, dragons, origes, loups-garous,

    tarasques ; c'est alors que le plus fort d'eux tous,

    de la voix d'un mouton qu'on égorgerait, bêle :

    " par *Ornans et le *Doubs ! Que la nature est belle ! "

    extasiés alors des sourcils à l'orteil,

    effarés, éblouis, prenant pour le soleil

    la chandelle à deux sous que *Margot leur allume,

    ils cherchent l'ébauchoir, les brosses ou la plume,

    et, comme bilboquet pour le maire de *Meaux,

    au lieu d'êtres humains, ils font des animaux

    encore non classés par les naturalistes :

    excusez-les, seigneur, ce sont des réalistes !

    Mais, puisqu'au lieu de lire un livre de crétin,

    j'aime à sentir au bois les muguets et le thym ;

    puisque la foi nouvelle a des argyraspides

    qui heurtent leur fer-blanc ; puisque les moins

    stupides

    de ce temps sont encor les faiseurs de rébus,

    ô *Cypris aux cheveux de flamme, et toi, *Phébus !

    Puisque je ne suis pas, moi charmé dans vos fêtes,

    de l'avis de *Gozlan, sur ce que les poëtes

    durent un demi-siècle à peine ; puisque j'ai

    pour maîtres de bon sens *Phyllis et *Lalagé ;

    puisque j'aime bien mieux faire voler des bulles

    de savon, que d'écrire une oeuvre aux funambules,

    et puisque, même en grec, sans le père *Brumoy,

    les grecs valaient monsieur chose, permettez-moi,

    au lieu de voir courir tous ces porteurs de chaînes,

    de me coucher pensif sous l'ombrage des chênes !

    Permettez-moi d'y vivre inutile, étendu

    sur l'herbe, m'enivrant d'un frisson entendu,

    et d'admirer aussi la rose coccinelle,

    et d'aider seulement de ma voix fraternelle,

    cependant que rugit cette meute aux abois,

    le champignon sauvage à pousser dans les bois !

  23. MÉDITATION POÉTIQUE LITTÉRAIRE

    on écrivait naguère, en ces temps romantiques

    où les chants de *Ducis étaient des émétiques,

    où, sans pourpoint cinabre, on se voyait banni ;

    où prudhomme, ventru comme une calebasse,

    était jeté vivant dans une contre-basse

    pour avoir contesté les vers de

    on écrivait, tandis que maintenant on gèle.

    Où sont les

    les

    les

    et ces jours, morts hélas !

    Où *Frédérick, faisant revivre *Aristophane,

    sous le mépris des sots et la robe d'un âne

    cachait tragaldabas !

    On écrivait, au sein de l'antique *Bohème

    où le chat de *Mimi brillait sur le poëme,

    où *Schaunard éperdu, dédaignant tout poncif,

    si quelqu'un devant lui vantait sa pipe blonde,

    lui répondait : " j'en ai pour aller dans le monde

    une plus belle encore, " et devenait pensif.

    Aujourd'hui *Weill possède un bouchon de carafe,

    *Arsène a des maisons, *Nadar est photographe,

    *Véron maître-saigneur,

    *Fournier construit des bricks de papier, et les mâte,

    *Henri *La *Madelène a fait du carton-pâte :

    lequel vaut mieux, seigneur ?

  24. MA BIOGRAPHIE À HENRI D'IDEVILLE

    le torrent que baise l'éclair

    sous les bois qui lui font des voiles,

    murmure, ivre d'un rhythme clair,

    et boit les lueurs des étoiles.

    Il roule en caressant son lit

    où se mirent les météores,

    et, plein de fraîcheur, il polit

    des cailloux sous ses flots sonores.

    Tel, je polissais, cher *Henri,

    des vers que vous aimez à lire,

    depuis le jour où m'a souri

    le choeur des joueuses de lyre.

    J'ai voulu des amours constants

    et, sans me ranger à la mode,

    j'ai chéri les cris éclatants

    et les belles fureurs de l'ode.

    Quand, tout jeune, j'allais rêvant

    avec ma libre et fière allure,

    ce fut le caprice du vent

    qui me peignait la chevelure.

    C'est au fond du détroit d'*Hellé

    que j'ai voulu chercher mes rentes,

    et je n'ai jamais plus filé

    qu'un lys au bord des eaux courantes.

    Mais parfois, lorsque, triomphant,

    j'enfourchai mes hardis pégases,

    tombaient de mes lèvres d'enfant

    les diamants et les topazes.

    J'ai touché les crins des soleils

    dans les infinis grandioses,

    et j'ai trouvé des mots vermeils

    qui peignent la couleur des roses !

    Je vins, chanteur mélodieux,

    et j'ouvris ma lèvre enchantée,

    et sur les épaules des dieux

    j'ai remis la pourpre insultée.

    Un instant, le long du chemin

    où des fous m'en ont fait un crime,

    j'ai tenu bien haut dans ma main

    le glaive éclatant de la rime !

    Sans repos je me suis voué

    au destin d'embraser les âmes :

    peut-être ai-je encor secoué

    trop peu de rayons et de flammes.

    Qu'un plus grand fasse encore un pas,

    chercheur de la lumière blonde !

    Ami, je ne suis même pas

    la plus belle fille du monde.

  25. À AUGUSTINE BROHAN

    *Thalie, amante des grands coeurs,

    voix éloquente et vengeresse,

    j'ai bu les amères liqueurs :

    prends mes chansons, bonne déesse.

    Berce-les au bruit des grelots !

    Muse au beau front, nymphe homérique,

    de ta lèvre coule à grands flots

    notre inspiration lyrique.

    Ton rire, comme un clair soleil,

    épanouit les gaîtés franches,

    pourpre vive, rosier vermeil,

    éblouissement de dents blanches !

    Que de fois, chancelant encor

    sous le mal dont je suis la proie,

    tes accents de cristal et d'or

    m'ont rendu la force et la joie !

    Oh ! Que de fois j'ai mendié

    l'enthousiasme et l'ironie

    sur le théâtre incendié

    par les éclairs de ton génie !

    C'est pourquoi, ne dédaigne pas

    le pur diamant de mes rimes,

    nymphe, dont j'ai baisé les pas

    sur la neige des grandes cimes.

    Car sur ton front céleste a lui

    l'ardent rayon qui me déchire,

    et nous nous aimons en celui

    qui nous a légué son martyre.

    ô spectacle trois fois divin

    de voir une telle écolière

    tremper sa bouche dans le vin

    dont s'enivra le grand *Molière !

    Toi qui le charmes au tombeau,

    *Thalie, *Augustine, âme élue

    pour ce délire encor si beau,

    l'ode est ta soeur, et te salue.

  26. LA SAINTE BOHÈME

    par le chemin des vers luisants,

    de gais amis à l'âme fière

    passent aux bords de la rivière

    avec des filles de seize ans.

    Beaux de tournure et de visage,

    ils ravissent le paysage

    de leurs vêtements irisés

    comme de vertes demoiselles,

    et ce refrain, qui bat des ailes,

    se mêle au vol de leurs baisers :

    avec nous l'on chante et l'on aime,

    nous sommes frères des oiseaux.

    Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux,

    et vive la sainte bohème !

    Fronts hâlés par l'été vermeil,

    salut bohèmes en délire !

    Fils du ciseau, fils de la lyre,

    prunelles pleines de soleil !

    L'aîné de notre race antique

    c'est toi, vagabond de l'*Attique,

    fou qui vécus sans feu ni lieu,

    ivre de vin et de génie,

    le front tout barbouillé de lie

    et parfumé du sang d'un dieu !

    Avec l'on chante et l'on aime,

    nous sommes frères des oiseaux.

    Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux,

    et vive la sainte bohème !

    Pour orner les fouillis charmants

    de vos tresses aventureuses,

    dites, les pâles amoureuses,

    faut-il des lys de diamants ?

    Si nous manquons de pierreries

    pour parer de flammes fleuries

    ces flots couleur d'or et de miel,

    nous irons, voyageurs étranges,

    jusque sous les talons des anges

    décrocher les astres du ciel !

    Avec nous l'on chante et l'on aime,

    nous sommes frères des oiseaux.

    Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux,

    et vive la sainte bohème !

    Buvons au problème inconnu

    et buvons à la beauté blonde,

    et, comme les jardins du monde,

    donnons tout au premier venu !

    Un jour nous verrons les esclaves

    sourire à leurs vieilles entraves,

    et, les bras enfin déliés,

    l'univers couronné de roses,

    dans la sérénité des choses

    boire aux dieux réconciliés !

    Avec nous l'on chante et l'on aime,

    nous sommes frères des oiseaux.

    Croissez, grands lys, chantez, ruisseaux,

    et vive la sainte bohème !

    Nous qui n'avons pas peur de dieu

    comme l'égoïste en démence,

    au-dessus de la ville immense

    regardons gaîment le ciel bleu !

    Nous mourrons ! Mais, ô souveraine !

    ô mère ! ô nature sereine !

    Que glorifiaient tous nos sens,

    tu prendras nos cendres inertes

    pour en faire des forêts vertes

    et des bouquets resplendissants !

    Avec nous l'on chante et l'on aime,

    nous sommes frères des oiseaux.

    Croissez, grands lys, chantez ruisseaux,

    et vive la sainte bohème !

  27. BALLADE DE LA VRAIE SAGESSE

    mon bon ami, poëte aux longs cheveux,

    joueur de flûte à l'humeur vagabonde,

    pour l'an qui vient je t'adresse mes voeux :

    enivre-toi, dans une paix profonde,

    du vin sanglant et de la beauté blonde.

    Comme à noël, pour faire réveillon

    près du foyer en flamme, où le grillon

    chante à mi-voix pour charmer ta paresse,

    toi, vieux gaulois et fils du bon *Villon,

    vide ton verre et baise ta maîtresse.

    Chante, rimeur, ta *Jeanne et ses grands yeux

    et cette lèvre où le sourire abonde ;

    et que tes vers à nos derniers neveux,

    sous la toison dont l'or sacré l'inonde,

    la fassent voir plus belle que *Joconde.

    Les amours nus, pressés en bataillon,

    ont des rosiers broyés le vermillon

    sur le beau sein de cette enchanteresse.

    Ivre déjà de voir son cotillon,

    vide ton verre et baise ta maîtresse.

    Une bacchante, aux bras fins et nerveux,

    sur les coteaux de la chaude *Gironde,

    avec ses soeurs, dans l'ardeur de ses jeux,

    pressa les flancs de sa grappe féconde

    d'où ce vin clair a coulé comme une onde.

    Si le désir, aux yeux d'émerillon,

    t'enfonce au coeur son divin aiguillon,

    profites-en ; l'âme, disait la *Grèce,

    a pour nous fuir l'aile d'un papillon :

    vide ton verre et baise ta maîtresse.

    ma muse, ami, garde le pavillon.

    S'il est de pourpre, elle aime son haillon,

    et me répète à travers son ivresse,

    en secouant son léger carillon :

    vide ton verre et baise ta maîtresse.

  28. LE SAUT DU TREMPLIN

    clown admirable, en vérité !

    Je crois que la postérité,

    dont sans cesse l'horizon bouge,

    le reverra, sa plaie au flanc.

    Il était barbouillé de blanc,

    de jaune, de vert et de rouge.

    Même jusqu'à *Madagascar

    son nom était parvenu, car

    c'était selon tous les principes

    qu'après les cercles de papier,

    sans jamais les estropier

    il traversait le rond des pipes.

    Il s'élevait à des hauteurs

    telles, que les autres sauteurs

    se consumaient en luttes vaines.

    Ils le trouvaient décourageant,

    et murmuraient : " quel vif-argent

    ce démon a-t-il dans les veines ? "

    tout le peuple criait : " bravo ! "

    mais lui, par un effort nouveau,

    semblait roidir sa jambe nue,

    et, sans que l'on sût avec qui,

    cet émule de la saqui

    parlait bas en langue inconnue.

    C'était avec son cher tremplin.

    Il lui disait : " théâtre, plein

    d'inspiration fantastique,

    tremplin qui tressailles d'émoi

    quand je prends un élan, fais-moi

    bondir plus haut, planche élastique !

    " frêle machine aux reins puissants,

    fais-moi bondir, moi qui me sens

    plus agile que les panthères,

    si haut que je ne puisse voir

    avec leur cruel habit noir

    ces épiciers et ces notaires !

    " par quelque prodige pompeux,

    fais-moi monter, si tu le peux,

    jusqu'à ces sommets où, sans règles,

    embrouillant les cheveux vermeils

    des planètes et des soleils,

    se croisent la foudre et les aigles.

    " plus haut encor, jusqu'au ciel pur !

    Jusqu'à ce lapis dont l'azur

    couvre notre prison mouvante !

    Jusqu'à ces rouges orients

    où marchent des dieux flamboyants,

    fous de colère et d'épouvante.

    " plus loin ! Plus haut ! Je vois encor

    des boursiers à lunettes d'or,

    des critiques, des demoiselles

    et des réalistes en feu.

    Plus haut ! Plus loin ! De l'air ! Du bleu !

    Des ailes ! Des ailes ! Des ailes ! "

    enfin, de son vil échafaud,

    le clown sauta si haut, si haut,

    qu'il creva le plafond de toiles

    au son du cor et du tambour,

    et, le coeur dévoré d'amour,

    alla rouler dans les étoiles.